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terre d’Afrique. En Egypte, en effet, sa souveraineté ou sa suzeraineté n’est plus qu’un vain mot.

Le gouvernement ottoman actuel peut d’autant moins se résigner à cette amputation qu’il est fondé sur un principe essentiellement nationaliste : tel a été, tel est toujours le caractère de la Jeune-Turquie. Ses premiers beaux jours sont passés, ils sont loin et ont été suivis de quelques déceptions ; mais elle n’en a qu’un besoin plus impérieux de maintenir intact le principe d’où elle est sortie, à savoir l’intégrité et l’unité de l’Empire : si ce principe est violé avec éclat aux yeux du monde, elle subira elle-même de ce fait une rude atteinte. Déjà, ce principe sacré de l’intégrité du territoire ottoman a reçu un premier coup le jour où l’Herzégovine et la Bosnie ont été annexées à l’Autriche. C’était au lendemain même de l’avènement de la Jeune-Turquie : il était difficile d’être plus malheureux. Mais ce malheur portait en lui-même son excuse : la Jeune-Turquie ne pouvait pas être rendue responsable d’un événement dont les causes étaient lointaines et dont l’effet se faisait sentir à un moment où elle n’avait pas encore eu le temps de réorganiser les forces du pays. Au surplus, l’Herzégovine et la Bosnie n’étaient plus, depuis 1878, ottomanes que de nom : elles étaient administrées et gouvernées par l’Autriche ; en les perdant, la Jeune-Turquie perdait un vieux titre que la Vieille- Turquie avait depuis longtemps laissé périmer. Mais la Tripolitaine, nous l’avons dit, est tout autre chose 1 En présence du danger qui la menace, que fera donc la Sublime-Porte ? Où-trouvera-t-elle un concours et un appui efficaces ? A quelle amitié ira-t-elle les demander ? Elle n’en a guère qu’une, n’ayant pas cru avoir besoin d’en cultiver d’autres. C’est d’ailleurs une amitié puissante et retentissante, puisque c’est celle de l’Allemagne. Il est à croire qu’à Constantinople on se tourne en ce moment du côté de Berlin, mais à Berlin on est très embarrassé. Que faire en effet, quel parti prendre entre la Turquie amie et l’Italie alliée ? Le cas s’est déjà présenté au moment de l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie, mais il était plus facile : nous venons d’en dire le motif. L’Allemagne s’est entremise ; l’affaire s’est arrangée moyennant finances. Il ne pourra pas en être de même aujourd’hui. Puissions-nous nous tromper ! Si l’Allemagne arrête l’Italie, ou si, impuissante à le faire, elle amène la Porte à se montrer conciliante jusqu’au renoncement, notre étonnement sera grand, mais notre contentement le sera plus encore. Une redoutable secousse aura été épargnée à l’Europe. Dans le cas contraire, il faudra constater une fois de plus le mauvais