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leur profit, dans les poètes néo-latins qui s’étaient inspirés, avant lui, et des uns et des autres. Ronsard n’est pas le révolutionnaire que nous croyons ! Même au point de vue des rythmes, ses innovations ou plutôt le principe de ses innovations n’est qu’un retour, par-dessus le XIVe et le XVe siècle, à la technique des troubadours et des trouvères. Ce « Vulcain tombé des cieux » a forgé l’anneau d’or qui relie la poésie moderne à la poésie médiévale. La chaîne n’a jamais été rompue. « Les Odes ne sont pas le signal d’une révolution, mais le terme d’une évolution. » Savez-vous ce qu’est Ronsard ? Un Marot supérieur.

L’idée n’est pas absolument neuve ; et M. Laumonier est le premier à le reconnaître, puisque Sainte-Beuve, dans son Tableau de la Poésie française, avait déjà le souci de nous montrer « que la Pléiade continuait un mouvement antérieur. » Mais elle n’avait pas encore été poussée aussi loin, ni avec une telle abondance d’érudition. Disons-le tout de suite : la formule nous en paraît dangereuse, parce qu’elle tend, sinon à rapetisser Ronsard, du moins à sacrifier sa poésie grave à sa poésie légère, et à trop humilier ses grandes odes devant ses exquises chansons. Quand la partie purement lyrique de son œuvre en confirmerait la justesse, son œuvre entière, si imprégnée de lyrisme, la démentirait.

Que Ronsard n’ait pas brisé avec la tradition nationale autant qu’on l’a pensé et qu’il le pensait lui-même, lorsqu’il dénonçait « la monstrueuse erreur » des âges précédens, nous aurions désormais mauvaise grâce à ne pas en être convaincus. Mais il ne s’est pas borné « à « redorer le blason de notre vieille poésie. » Il en a changé lame. Quand nous allons reprendre notre bien chez les auteurs étrangers, — Ronsard dans Pétrarque, La Fontaine dans Boccace, — soyez sûrs que ce bien en lui-même nous attire beaucoup moins que les élémens nouveaux dont il s’est enrichi. D’autre part, rien n’empêche une littérature allégorique d’être populaire, le peuple ayant une tendance marquée à personnifier des abstractions ; mais une littérature mythologique ne saurait l’être. Ronsard a fait une révolution puisque, avec lui et après lui, la poésie française devient une poésie éminemment aristocratique. Si les révolutions littéraires ne sont que des achèvemens d’évolutions, il faut cependant pour les accomplir un homme qui possède quelque chose de plus et d’autre que tous ses devanciers. Ronsard, un Marot supérieur ?