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même[1]. Les études de MM. Laumonier et le commentaire de Muret, que nous a rendu l’édition de M. Vaganay, en ont multiplié les exemples. Muret, lui aussi, est un pédant, désireux d’étaler son savoir et toujours tenté de s’exagérer l’ignorance de ses lecteurs. Peut-être n’avaient-ils pas besoin qu’on leur rappelât que l’Enfant de Cythérée est l’Amour, et Phœbus le Soleil. Mais combien d’entre nous seraient capables de deviner que le Dulyche troupeau signifie l’armée d’Ulysse et qu’il faut entendre par les flambeaux du chef égyptien la chevelure de Bérénice[2] ? Ronsard ne s’est jamais complètement guéri de sa passion pour les périphrases et pour ce qu’il appelait, hélas ! les antonomasies, c’est-à-dire les façons « de ne pas nommer les choses par leur nom propre, » mais seulement par une de leurs qualités. Dieu sait où les antonomasies l’entraînèrent, lui qui pourtant savait user de l’expression familière et même du mot cru avec tant d’à propos et d’art ! Et que de rébus ! N’a-t-il pas l’air de se moquer de nous lorsqu’il écrit gravement :


Qui est celui qui n’a pas su
De Pélops l’ardente flamme,
Le traître Œnonas déçu,
Et les noces d’Hippodame ?


Il a fait pire. Ces allusions à la mythologie gréco-latine, qui ne sont que les péchés véniels d’un érudit, deviennent des fautes de goût terriblement froissantes lorsque le poète prétend assimiler l’objet de son admiration esthétique à celui de ses croyances religieuses et chanter « un vers chrétien » qui puisse contenter des oreilles païennes. C’est ainsi qu’il osera transformer la légende d’Hercule en symbole du Christ, sans que rien l’avertisse de la profanation qu’il commet à comparer l’adultère de Jupiter et l’incarnation du Verbe. La naissance d’Hercule ne fut-elle pas mystérieuse ? Les bêtes domptées par Hercule ne figurent-elles pas les crimes du monde ? Hercule n’est-il pas descendu aux Enfers ? On comprend le recul des gens du XVIIe siècle devant ces déplorables aberrations de l’humanisme, et l’indignation de Sorel dans ses Remarques sur le Berger extravagant : « J’aimerais mieux bannir tout à fait les

  1. M. Laumonier est d’ailleurs convaincu qu’en attaquant le « faste des grands mots pédantesques » de Ronsard, Boileau visait non pas son vocabulaire, mais son abus de la mythologie.
  2. Voir la préface de M. Vianey à l’édition des Amours (Champion, éditeur).