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fables des Païens que de les penser corriger en les appliquant ainsi à des mystères sacrés. » Il a raison. Tout est préférable, même les plaisanteries d’école, des plaisanteries à faire peur, que Ronsard se permettait, comme dans son Épitaphe d’Albert, joueur de luth du roi François Ier. Le Passant demande : « Quelle mort le tua ? » Le Prêtre lui explique en quatre vers d’une précision chirurgicale qu’il mourut de la pierre. Et le Passant de répondre :


Je suis tout ébahi que lui, qui fléchissait
Les pierres de son luth, ne se l’amollissait !


Ce débordement d’érudition, tout fumant d’orgueil, finirait par nous faire prendre en grippe la sacro-sainte antiquité, si les bienfaits de l’humanisme, chez un homme comme Ronsard, n’en compensaient les excès.

Le premier de ces bienfaits est de nous tenir en garde contre les mirages de notre sentiment individuel. Orgueilleux tant qu’on voudra, l’orgueil de l’humaniste ne lui vient pas de ce qu’il est « lui-même. » Il ne s’applaudit point de ne ressembler à personne. Il s’applique au contraire à ressembler le plus possible à ceux qui lui paraissent les plus beaux exemplaires de l’humanité. C’est leur reflet qu’il admire en lui ; c’est Homère ou Virgile qu’il couronne sur sa tête. Il y a de la modestie dans son arrogance. Il vit aux antipodes de ces superbes barbares qui s’imaginent que le monde commence avec eux.


Que les formes de toutes choses
Soient, comme dit Platon, encloses
En notre âme, et que le savoir
N’est sinon se ramentevoir,
Je ne le crois, bien que sa gloire
Me persuade de le croire,
Car, de jour et de nuit, depuis
Que studieux du grec je suis,
Homère devenu je fusse...


Ronsard est charmant dans ces aveux mélancoliques. Sa fierté d’avoir « haussé sa langue maternelle » et d’avoir « poussé son renom jusqu’aux cieux » ne lui fait oublier ni ce qu’il doit à ses modèles, ni la distance qui le sépare d’eux.

Mais l’humanisme a encore ceci d’excellent qu’il nous amène à sentir très vivement la solidarité morale des êtres humains à