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de la glèbe plantureuse, qui s’associe chez Ronsard au sentiment, non moins nouveau, que la terre nous aime.

Ses ombrages, ses fontaines, ses vallées solitaires, ses tapis de fleurs se font les complices ou les témoins attendris de nos amours. Tout ce qui vit nous exhorte à jouir passionnément de la vie. Le poète est pareil à ce Démon de la Volupté qui, dans Chateaubriand, traverse les bois de l’Arcadie une torche odorante à la main. Sur son passage, la colombe gémit, le rossignol soupire, le cerf brame. « Les Esprits séducteurs entr’ouvrent les chênes amollis et montrent çà et là leurs têtes de nymphes. » Ronsard a magnifiquement exprimé la sensualité de son époque, cette sensualité que la renaissance du Paganisme, en divinisant la Nature, avait lavée de ses tares originelles et comme réhabilitée. Elle se manifestait dans les mœurs par une sorte d’impudeur. Henri Estienne intitulait un des chapitres de son Apologie pour Hérodote : De combien la paillardise est plus grande aujourd’hui qu’elle n’a été. Le mot, qui convient à tant de nos productions du Moyen Age et qui s’applique encore justement à quelques-unes des Folastries de Ronsard, ne caractérise plus, sauf pour un polémiste huguenot, cette ardeur voluptueuse que l’adoration de la beauté plastique rend, sinon plus pure, du moins plus intense et plus grave. Ronsard demeure le poète insurpassé de l’amour sensuel où l’esprit décore, prolonge et renouvelle indéfiniment la fête des sens. Quelle différence avec Pétrarque, même quand il croit pétrarquiser ! L’un essaie de « christianiser » les Latins érotiques ; l’autre ajouterait encore à leur paganisme. M. Laumonier a marqué cette opposition en rapprochant les passages où les deux poètes nous peignent leur maîtresse. Laure, assise au bord de l’eau, s’appuie contre un arbre, toute vêtue, humble et pudique. Cassandre, qui s’est baignée dans la source, se couche sur la rive et y repose nue comme une naïade. Nous étonnerons-nous de la hardiesse dont le poète nous la dévoile et promène nos regards sur les beautés de son corps ? Mais consultez le livre de M. Bourciez : n’était-ce pas ainsi qu’en usaient les sculpteurs et les peintres avec les dames de la Cour qui leur servaient si complaisamment de modèles ? Diane n’admirait-elle pas elle-même sa nudité dans les tableaux de Primatice ou dans les bas-reliefs de Jean Goujon ? Et Catherine de Médicis, malgré la sévérité de ses mœurs, était aussi nue