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qu’elle sur le plat de Léonard Limosin. Ni Cassandre Salviati ne pouvait se scandaliser de la liberté que prenait son poète, ni la reine d’Ecosse s’offenser quand il s’écriait :


Avoir joui d’une telle beauté
Sein contre sein valait la royauté !


Cependant M. Laumonier a raison de dire qu’il a été plus loin que tous ses prédécesseurs dans le dévêtement du corps féminin et dans la description du plaisir amoureux. Excès pour excès, reste à savoir si la franchise de Ronsard n’est pas préférable au platonisme hybride où les pétrarquisans et plus tard les Romantiques ont trop souvent mêlé l’amour mystique de Dieu et l’amour charnel des créatures, et si, par exemple, les audaces fougueuses du poète de Cassandre et de Marie sont plus choquantes que la confusion des sentimens d’un autre très grand poète qui ira chercher sur le Crucifix la tiédeur du baiser de sa maîtresse. Oh ! je sais parfaitement tout ce qu’on peut alléguer, et qu’à une certaine hauteur les aspirations du cœur humain se purifient et s’identifient. Et je sais qu’on se défend mal des douloureuses séductions d’une telle poésie ! Mais enfin le dieu Pan, né d’une Pénélope infidèle, est un dieu qui favorise les amours libres, et le Dieu des chrétiens en est un autre ! Fût-on grand poète, on ne les sert sur les mêmes autels qu’à la faveur d’une étrange équivoque. Pourtant, dira-t-on, Pétrarque ?... L’exemple de Pétrarque ne doit point nous abuser.


Il était éveillé d’un trop gentil esprit
Pour être sot trente ans, abusant sa jeunesse
Et sa Muse au giron d’une vieille maîtresse :
Ou bien il jouissait de sa Laurette, ou bien
Il était un grand fat d’aimer sans avoir rien.


Le dilemme n’est point rigoureux. Nous savons qu’il ne jouit point de sa Laurette, et nous savons aussi qu’il n’était pas un fat. Alors ? Alors, il me paraît moins sincère ; et j’aime mieux notre Ronsard, ô gué, j’aime mieux notre Ronsard ! Ses aubades lascives parfumées de rose, étincelantes de rosée ; son lyrisme amoureux, enveloppant comme le lierre et comme la vigne, et violent parfois comme le thyrse aigu aux mains des Bacchantes ; ses oarystis olympiennes et les mignardises qui en sont les menues caresses, toute cette volupté qui sent le plaisir, ne