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Avant Corneille, il a frappé le vers cornélien :


Sire, ce n’est pas tout que d’être roi de France...


André Chénier ne rencontrera pas de traits plus homériques que celui de son Polyphème,


Qui courait à pied sec sur l’écume des flots.
La vapeur seulement de la vague liquide
Rendait un peu le bas de ses talons humide...


ou encore celui des femmes,


Qui font par le métier promener leurs navettes,
Où se teignent les doigts aux couleurs des ouvrages.


Hugo n’aura pas de vers plus vastes que ceux-ci :


Et les chiens aboyans de Scylla monstrueuse,
Qui d’un large gosier hume toute la mer,


ni de vers plus mystérieusement cosmogoniques que cette invocation aux Etoiles :


Je vous salue, enfans de la première nuit !


Comme à Hugo, il lui arrivera de terminer brusquement une longue pièce par un tableau qui ne la résume pas, mais qui arrête l’esprit du lecteur sur une forme parfaite ou sur une splendide déchirure de l’horizon. Tantôt, dans ses odes bachiques et dans ses Folastries, il s’avance en badinant jusqu’aux frontières du Burlesque, que franchiront les Théophile et les Saint-Amant. Son chien est venu japper à la porte de la chambre où il s’était enfermé avec sa maîtresse ; et la maudite bête a donné l’éveil à tout le village.


Si tu ne m’eusses été tel,
Je t’eusse fait chien immortel...
Compagnon du chien d’Orion...
Car certes ton corps n’est pas laid ;
Et ta peau plus blanche que lait
De mille frisons houppelue,
Et ta basse oreille velue,
Ton nez camard et tes gros yeux
Méritaient bien de luire aux cieux !


Dans une de ses dernières pièces, il se répand en imprécations, contre le mariage de celle qu’il poursuivait, avec une verve,