Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une âpreté pittoresque, une fureur héroï-comique que les jeux étourdissans du Romantisme n’ont point dépassée.


Que la nuit leur soit longue et le lit plus poignant
Que s’ils étaient couchés au milieu des orties !


Tantôt, ce sont des récits qui semblent détachés d’une épopée et qui marchent à grands pas, vigoureux et resplendissans ; et quelquefois aussi, écartez-en les draperies mythologiques : un conte gaulois vous rira dans les yeux, un conte de La Fontaine aussi malicieux, mais plus coloré. Hercule et Iole ont échangé leurs vêtemens : malheur à l’imprudent Satyre qui, la nuit, s’y trompera ! Le soir est descendu :


Là sur mainte herbe et mainte feuille tendre
Les deux amans repos allèrent prendre.
Leurs serviteurs, qui le somme soufflaient
Par les naseaux, sur les tisons ronflaient,
D’un lourd menton refrappant leur poitrine,
Autour du feu qui lentement décline.


Je m’étonnerai toujours que La Fontaine, d’un esprit si libre, si affranchi de préventions, et si bon lecteur, n’ait pas été plus tendre à l’égard de Ronsard, le seul poète qui ait fait du La Fontaine avant lui ! Ils avaient tous deux plus d’un trait commun, outre leur goût marqué pour les belles chambrières : la bonhomie dans l’expression, une grande sincérité, l’amour de la nature rustique, l’art de nous communiquer en quelques mots très simples la sensation physique d’un paysage, d’une atmosphère, d’une fleur ou d’une saison. Je ne conçois pas La Fontaine passant d’un œil distrait sur des vers comme ceux-ci :


J’aime fort les jardins qui sentent le sauvage...
Lorsque le ciel à la terre sourit,
Lorsque tout arbre en jeunesse fleurit,
Quand tout sent bon...


Ronsard a tant aimé la nature ! Il a tant vécu au milieu d’elle et au milieu des paysans qu’il a si bien fait parler ! Ses Eglogues, c’est Apollon revenu de chez les pasteurs, la lyre enguirlandée des fleurs du pré à Bouju. Une savoureuse étude de M. Gabillot sur ses dernières années nous le montrait dans son prieuré de Saint-Cosme, cultivant son jardin, fier de connaître les beaux secrets du jardinage. Il remplit scrupuleusement ses