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produit agricole et qu’il l’ait transporté et revendu sur le lieu de consommation : il suffit qu’achat et vente aient été effectués ou soient même simplement possibles avant toute opération de livraison ou de transport. Quand un commerçant spécule sur les grains ou sur la farine à terme, il produit identiquement les mêmes effets que s’il opérait au comptant ou sur livraison. En prenant livraison des grains, il équilibre les approvisionnemens et les prix dans l’espace ; en opérant à terme, il corrige les inégalités d’approvisionnemens et des prix dans le temps. Il prévient les excès de l’avilissement nuisibles à la production, et les hausses exagérées, ruineuses pour le consommateur.

La spéculation elle-même doit rester libre comme le commerce toutes les fois qu’elle n’emploie pas des moyens frauduleux et déloyaux. Elle remplit un rôle analogue, on peut le dire, à celui que joue le volant en mécanique : elle régularise les approvisionnemens et les prix sur un marché en empêchant l’encombrement dans une saison et le vide dans une autre.

Interdire la spéculation, c’est-à-dire la prévision des variations des prix et des besoins, c’est aller à l’encontre du but que l’on veut atteindre, et la violence légale produit ici le même résultat que l’émeute, elle crée la cherté en troublant les opérations qui devaient l’atténuer.

Ce qu’il convient donc de dénoncer et de proscrire, c’est l’intervention stérile, déprimante et dangereuse des pouvoirs publics en matière de production et de commerce.

La prétention de décréter la baisse et de taxer les denrées est d’ailleurs une des plus folles que l’on connaisse. En effrayant le producteur ou en ruinant le commerçant, elle organise la disette et augmente la cherté.

Puisque nous avons fait allusion ici aux enseignemens du passé et aux leçons de l’histoire, il nous sera permis encore de rappeler l’impuissance des mesures rigoureuses prises contre les producteurs ruraux ou les négocians durant une période de hausse, celle qui a débuté vers 1760 pour se prolonger après 1789.

La Convention avait admis qu’une loi pouvait suspendre la montée des cours et qu’il suffisait de menacer, de taxer et de châtier, pour avoir raison d’un phénomène économique.

Cette même assemblée a dû reconnaître son erreur et affirmer solennellement que seule la liberté était capable de