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« Il est vrai que M. d’Alembert m’a écrit qu’il n’est plus en colère contre moi et que j’avais tort de l’avoir été si fort. Qu’il ne soit plus question entre nous de toutes ces sottises dont nous nous nourrissons depuis deux mois. Aimons-nous bien tendrement. Je ne veux plus faire que cela. Je n’aurai plus d’avis sur rien. » Serment de philosophe, qui s’humilie, mais non pas qui se repent. Le bon Condorcet demande pardon pour le méchant, — qu’il sait tout prêt à recommencer.

Ces trois « sorties » nous ont renseignés tour à tour sur les opinions de Condorcet en politique, en religion, en économie politique. Quelques citations nous permettront de préciser ce sujet qui en vaut la peine. D’abord, Condorcet fait profession d’athéisme, non pas de déisme ou de théisme, comme beaucoup de ses contemporains, mais absolument d’athéisme. Il en exprime à M me Suard quelque regret : « Adieu, madame. S’il m’était permis de croire en Dieu, je serais persuadé qu’une divinité bienfaisante s’est unie à votre corps pour l’exemple du monde et le bonheur de ses élus. » Mais, évidemment, pour croire à l’existence de Dieu, l’existence d’Amélie Suard était une preuve un peu mince. De même Condorcet se résignerait à admettre l’immortalité de l’âme de Mme Suard, mais il ne peut consentir que son âme, à lui, soit immortelle… Je ne prétends pas que ce marivaudage métaphysique soit d’un goût parfait Quant à son attitude vis-à-vis du christianisme, voici pour nous en faire juger : « Nous avons à Saint-Quentin une maladie qui fait périr toutes les vaches… Cependant la ville de Ribemont en est exempte et presque seule. On prétend que nous en avons l’obligation à un saint d’Ecosse qui a traversé la Manche sur une roue de charrette tout exprès pour se faire enterrer à Ribemont. » Et ailleurs : « Nous disons ici quatre grandes messes par semaine, une à saint Eloi, patron des laboureurs, une à saint Germain, patron du pays et qui étranglait de son temps les dragons avec son étole, une troisième à saint Roch, parce que la maladie est contagieuse, et la quatrième à sainte Cornille, parce que les malades ont des cornes… » C’est la plaisanterie voltairienne dans ce qu’elle a de plus vulgaire et de plus sot. — Sur les tyrans. Mme Suard ayant assisté aux fêtes de la Saint-Louis, à Saint-Cloud, où se pressait le populaire, Condorcet invective ce « peuple lâche en effet et né pour l’esclavage, » et rappelant la fable de La Fontaine, Le