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Chastellain raconte que Charles VII « mettoit jours et heures de besogner à toutes conditions d’hommes et besognoit de personne à personne, distinctement à chacun, une heure avec ducs, une autre avec nobles, une autre avec estrangers, une autre avec gens mécaniques (artisans), armuriers, voletiers, bombardiers et autres semblables. » Il laissait sa porte ouverte ; pénétrait qui voulait, pour lui parler librement ; les gentilshommes en armes, et jusque dans la chambre du Roi.

« Vous savez que chacun a loi d’entrer qui veut, » disait à Chabannes le futur Louis XL

Au cours de leurs célèbres dépêches, les ambassadeurs vénitiens du XVIe siècle constatent que « nulle personne n’est exclue de la présence du Roi et que les gens de la classe la plus vile pénètrent hardiment, à leur gré, dans sa chambre intime. » En 1561, l’ambassadeur Michel Suriano parle de ces rapports familiers entre princes et sujets : « Les Français ne désirent pas d’autre gouvernement que leurs rois. De là vient l’intimité qui règne entre le monarque et ses sujets. Il les traite en compagnons. Personne n’est exclu de sa présence, les laquais et les gens de la plus basse condition osent pénétrer dans son cabinet secret. » En 1577, un autre ministre vénitien, Gérome Lippomano : « Pendant le dîner du roi de France, presque tout le monde peut s’approcher de lui et lui parler comme il ferait à un simple particulier. » Et, en 1603, Angelo Badoer : « Le roi de France, quand il est en représentation, donne une plus haute idée de sa grandeur que ne le fait le roi d’Espagne... Mais hors d’apparat il est le monarque le plus affable du monde. » « Cette grande familiarité, note Suriano, rend, il est vrai, les sujets insolens, mais aussi fidèles que dévoués. » Ce qui est également l’opinion de Robert Dallington, secrétaire de l’ambassadeur anglais auprès de Henri IV. Il l’expose en son intéressant Aperçu de la France en 1598 dont M. E. Emerique a récemment publié la traduction : « Les rois de France sont très affables et familiers, plus qu’il ne convient, écrit le diplomate anglais ; mais c’est la coutume du pays. » Dallington pense aux cours d’Angleterre, de Suède et de Pologne, « où les princes ont plus de majesté et, par suite, plus de respect de la part de leurs sujets. » Duchesne, à son tour, compare sur ce point les rois de France à leurs voisins d’Espagne. Ceux-ci ne se montrent que rarement à leurs peuples. « Si un roy de