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En tout cas, le pauvre Kayser avait, depuis lors, cessé d’exister pour Gœthe ; et bien que son successeur Reichardt se soit montré un serviteur infiniment plus souple, et actif, et adroit, lui-même n’a point tardé semblablement à recevoir son congé. Mais, aussi bien, ni Reichardt ni Kayser n’avaient de quoi rivaliser, auprès de Goethe, en constante et parfaite utilité pratique, avec le troisième de ses « maîtres de chapelle, » le célèbre Zelter. Celui-là était vraiment l’homme qu’il fallait à Goethe. Musicien « amateur, » il était, de son métier, l’un des plus notables maîtres maçons de Berlin ; avec cela l’honnêteté même, et d’une intelligence très suffisante, surtout dans les sujets de l’ordre pratique. Personne peut-être, entre tous les amis du poète, ne l’a plus respectueusement admiré, ni ne l’a servi plus efficacement. Il est vrai que les limites, très étroites, de son talent lui interdisaient d’aborder les grands genres de l’opéra ou de l’oratorio : il ne savait écrire que des lieds, — et c’est sûrement sous son influence que Gœthe, de bonne heure, a renoncé à produire de nouveaux poèmes de musique dramatique, jusqu’au jour où, dans la seconde partie de son Faust, il a brusquement transformé sa tragédie en une façon de drame lyrique, offert par lui aux génies musicaux de la postérité. Mais impossible d’imaginer des lieds aussi absolument conformes à l’idéal du poète : gracieux et médiocres, se bornant à mettre discrètement en valeur l’expression des paroles. Et pendant un quart de siècle l’excellent maçon berlinois s’est trouvé à peu près seul pour représenter, aux yeux de Gœthe, un art que les deux amis ne goûtaient pas au même degré, mais que tous deux concevaient et rêvaient de la même façon. Lorsque Zelter reprochait à Beethoven d’ « employer la massue d’Hercule à écraser des mouches, » ou bien accusait le jeune Berlioz d’» écrire sa musique avec un balai, » il savait bien n’exprimer là qu’un fidèle écho des sentimens esthétiques de son glorieux « patron » et ami de Weimar.


T. de WZEWA.