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que des squelettes. Mais, dans ce flamboiement meurtrier du désert, cette illusion de verdure exubérante est quelque chose de si miraculeux et de si doux !


Le bateau repart. Il est midi. Autour de nous, les montagnes de la plaine de Thèbes forment comme un cercle de brasiers qui brûlent en plein jour. Suivant les caprices des ombres, certaines semblent éteintes, écrasées sous un amas de cendres blanches. D’autres, translucides, paraissent éclairées en dedans, — cloisons de cristal, plus limpides que l’air, véritables serres de diamant, où éclosent des fleurs lumineuses, invisibles à force de splendeur.

L’heure est accablante. Midi : l’heure blanche du Sud ! Le paysage pulvérisé par le rayonnement solaire n’est plus qu’un tourbillon de couleurs évanescentes : gris, jaune-soufre, vert livide. L’eau est blême comme une vitre dépolie. Le ciel trouble s’arrondit en un immense globe de lampe, d’où tombe une lueur diffuse, voilée et papillotante, douloureuse au regard. Tout se brouille et se dissout. Les formes solides, les lignes précises s’effacent. On dirait que la terre est mangée par le ciel et l’eau.

Sur la rive, dans un halo de poussière, un pauvre chien, au museau effilé de chacal, court, comme un fou, sous le soleil, et n’a même plus la force d’aboyer. L’équipage dort, écroulé dans l’entrepont, où le courant d’air du sillage atténue à peine l’ardeur infernale de la machine.


Le soir, au crépuscule, la féerie quotidienne recommence. L’eau du Nil s’est muée en une sorte d’élément immatériel, — fluide, impondérable et diaphane comme l’éther.

La nuit est venue. Le lit de la rivière a disparu sous un amas de mousselines translucides. On vogue en plein ciel. À travers la pénombre claire, les voiles-fantômes surgissent toujours, et les dahabiehs qui passent revêtent des apparences chimériques. On ne sait plus si ce sont des barques ou des litières royales, sous leurs courtines et leurs bouquets de plumes, — ou des bêtes marines aux mufles difformes et aux nageoires géantes.

À minuit, le firmament, nettoyé de ses vapeurs et de ses poussières flottantes, est criblé d’étoiles qui se répètent dans le