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Jeudi, 17 mai.

Louqsor : le beau nom ! Comme il sonne ! Comme il est prometteur de merveilles !

Nous y arrivons au lever du soleil. De loin, je reconnais le célèbre temple d’Ammon, qui, tout au bord de la berge, espace le damier de ses colonnes papyriformes ; j’aperçois la double mitre d’un colosse royal, enseveli jusqu’à mi-corps dans les excavations des fouilles. Du lit du fleuve, du haut du balcon du steamer, cela paraît petit, puéril comme un jeu de construction abandonné sur la rive. En revanche, ce qui semble réellement monumental, ce sont les façades composites des grands hôtels. Ils écrasent tout autour d’eux. Louqsor est un centre d’hivernage presque à l’égal du Caire. La brique et le plâtras des caravansérails cosmopolites y éclipsent le granit des temples millénaires.

Le bateau fait, à Louqsor, une escale de quelques heures. Il faut descendre, errer au hasard dans les rues de la bourgade moderne, unique vestige de la grande Thèbes aux cent portes.

De cette première visite trop hâtive, je ne garde qu’une impression confuse de fraîcheur, d’intimité, de magnificence aussi. Venelles ombragées, si accueillantes et si voluptueuses au sortir du grand soleil des berges ! Petites rues blanchies à la chaux, où les animaux apprivoisés montrent une douceur extrême. Les colombes et les passereaux se perchent familièrement sur le rebord des fenêtres. Les chats ne s’enfuient point au passage de l’homme : ils semblent aussi sûrs de son respect qu’au temps où il les adorait et embaumait leurs cadavres. Et, dans la campagne vite atteinte, parmi les chaumes des champs moissonnés, c’est un grouillement de rats, si nombreux, si insolens, si ostensiblement les maîtres du sol, qu’on songe à une nouvelle plaie d’Egypte... Et puis les jardins pleins de fleurs et d’arbres qui, à de certains tournans, prennent des aspects de forêts vierges. Pêle-mêle de lauriers-roses, d’hibiscus, de jasmins, d’arums, d’iris jaunes et rouges, de papyrus. Et, par-dessus tout cela, l’odeur entêtante des citronniers qui suent leur sève. L’air est lourd sous ces fourrés, la terre fendillée meurt de soif. Bientôt les branches des arbustes et les lianes des plantes grimpantes, dépouillées de leurs feuilles par le hâle de l’été, ne seront plus