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Restauration croyait pouvoir leur imposer. Montalembert était libéral tout autrement : fervent dans ses croyances et respectant celles d’autrui, il avait la volonté de ne molester personne, mais aussi de n’être pas molesté. Il y avait entre ces écoliers et lui, cette différence que le libéralisme de l’un était fait d’une habitude de la liberté, et celui des autres d’impatience de la contrainte. L’Université d’alors ne s’accommodait pas d’un régime qui remettait en question quelques-unes des conquêtes morales de la révolution, comme il avait renoncé à celles qu’avait apportées à la France la gloire sévère et tragique de l’Empire. Les collégiens, pétillans de jeunesse, charmés d’entrer dans la vie en combattant, ne demandaient, sous les encouragemens secrets de leurs maîtres, qu’à se livrer gaîment, hardiment, à ce jeu de fronde qui visait le roi Charles X, les ministres et derrière eux la religion catholique, devenue autoritaire et inquisitoriale sous le patronage d’un roi faible et dévot. Un libéral d’alors était donc, à dix-sept ans, incrédule avec décision, faisait des vers contre le gouvernement du Roi, se découvrait au nom de Manuel, lisait furtivement le Constitutionnel, et, le maître d’études sorti, mettait aux voix la question de l’existence de Dieu. Dans la classe de Montalembert, Dieu n’eut qu’une voix de majorité. Le malentendu se précisa vite et fut douloureux. Le « nouveau » se sentit seul au milieu de ses camarades. Libéral et chrétien, il tenait tête, dans l’effervescence des discussions qui suivaient la classe, aux objections et aux sarcasmes. Ces luttes avec de jeunes compatriotes qu’il avait, enfant, en Angleterre et en Allemagne, tant rêvé de rejoindre laissaient dans son âme de la tristesse. Tantôt, il y échappait par l’isolement, s’enfonçant dans les études où il trouvait du moins le réconfort du succès, tantôt il reprenait sur les impitoyables railleurs les avantages que lui donnait sa culture plus variée, servie par une magnifique mémoire.

Il rencontra pourtant un ami, Léon Cornudet, un peu son aîné, chrétien comme lui, libéral comme lui et comme lui solitaire. Quelle découverte ! Un frère. Ne pouvant pas se parler librement, ils s’écrivaient. « C’est donc dans tes bras que je me jette, cher ami, c’est dans ton cœur que je veux me réfugier et me consoler de mes peines qui ne sont pas peu de chose... Il nous reste la ressource des lettres. » Ils en usaient avec abondance, avec effusion. « Nos opinions politiques sont les mêmes, disait Montalembert, nos opinions religieuses aussi.