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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/112

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Cette destinée ingrate, Montalembert la subit dès ses vingt ans.

Il était né en Angleterre. Son père, fervent catholique émigré en 1792, ne rentra en France qu’avec Louis XVIII ; sa mère était anglaise et protestante. Son grand-père, M. Forbes, était le type même du puritain biblique, austère et tendre qui, dans tous ses rapports avec l’enfance, fait œuvre d’éducateur. Lorsque son père, sous Louis XVIII, prit du service diplomatique, l’enfant fut laissé à l’aïeul qui l’avait élevé sur ses genoux. Et au seuil de ses premiers souvenirs, Charles de Montalembert voyait se dresser la figure de ce protestant, bon et noble vieillard qui s’était fait le compagnon de ses jeux et de ses études, le confident de sa conscience, et avait orienté sa jeune âme vers le culte de la liberté et de la vérité. M. Forbes demandait qu’on réservât à l’enfant la liberté de choisir à vingt ans entre la religion de son père et celle de sa mère. Ce désir ne fut pas réalisé. Charles avait neuf ans quand son père le réclama. Sans murmure l’aïeul s’inclina : il se mit en route avec l’enfant, et avant même de l’avoir rendu au père, sa mission finie, il mourut en chemin. Mais l’infiltration des idées libérales s’était faite. Tout jeune, Montalembert avait vu dans les deux faces du monde chrétien, son père catholique et pair de France, son grand-père protestant imbu de toutes les sérieuses traditions du libéralisme anglais. Ses yeux d’enfant les avait chéries toutes deux ; il ne pouvait plus, en s’attachant à l’une, mépriser l’autre, ni même l’ignorer.

Après quelques années d’étude, coupées par des séjours à Stuttgart où son père était ministre du Roi, Charles de Montalembert vint s’asseoir sur les bancs de Sainte-Barbe. Il y trouva des collégiens qui regardèrent avec étonnement et sans bienveillance ce nouveau venu, si religieux et si laborieux, qu’on voyait prendre d’emblée la tête de sa classe. Avec son visage plein et doux, ses yeux candides, ses épais cheveux laissés longs en boucles sur le cou robuste, il avait un air de force et de rêverie. Il se dit libéral et catholique, Ses camarades pari- siens, prompts à l’escarmouche, eurent vite fait de répondre à cette affirmation par un éclat de rire et de lui déclarer la petite guerre. Ils étaient tous ou presque tous des libéraux, mais suivant le mode français d’alors, railleur et frondeur ; le rire sec du vieux Voltaire effleurait ces jeunes lèvres ; la liberté, pour eux, était le droit de nier des croyances que le gouvernement de la