Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Il rentra à Paris le 4 novembre 1830. Les choses avaient changé. Il ne s’agissait plus de modérer l’Eglise, mais de la sauver. Solidaire du trône renversé, elle était en butte à toutes les attaques. Mgr de Quélen avait vu l’archevêché saccagé, Notre-Dame envahie. L’effervescence populaire, monotone en ses emportemens, avait accusé les prêtres de tirer sur le peuple et lui gardait sa rancune. Elle faisait fermer les temples, renversait les croix et voyait sous les robes des frères ignorantins des poignards empoisonnés. Les libéraux étaient au pouvoir, mais leur libéralisme victorieux n’allait pas jusqu’à permettre aux catholiques de prendre leur part de cette liberté nouvelle. Lamennais en revendiquait pour eux l’exercice comme un droit ; mais il se proposait en même temps de les ramener dans le courant de la vie moderne, de les affranchir de toute attache avec les institutions politiques. Il allait, selon son expression, « catholiciser le libéralisme » et chez l’adversaire aveuglé par le récent combat porter hardiment la lumière et l’amour.

Montalembert lui avait écrit : « Tout ce que je sais, tout ce que je vaux, je le mets à vos pieds. » Le lendemain de son retour, il entrait dans le petit salon enfumé de la rue Jacob : Lamennais lui ouvrit ses bras. On imagine sans peine l’accueil que le maître fit au disciple qui lui apportait sa jeunesse, son talent, sa fougue. Il parla pendant plusieurs heures, dit toute sa pensée, tout son programme : les révolutions avaient passé, elles avaient donné aux classes pauvres une nouvelle conscience de leurs droits, elles devaient donner aux classes riches une nouvelle conscience de leurs devoirs. L’union populaire pouvait se faire et on la ferait ; on changerait la manière de parler au peuple ; on le prendrait tel qu’il était, impatient, injuste, toujours excusable et pitoyable à cause de sa souffrance ; ignorant, on lui apprendrait à lire dans le livre de vérité ; le prêtre, libre d’aller à lui, serait son éducateur et son ami.

Montalembert écoutait, ravi, comme Samuel quand l’enfant dans la nuit entend la voix qui décide de sa vie. Il découvrait des horizons illimités : « Si l’on veut de moi à l’Avenir, avait-il dit, j’abandonne tout. »