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rien, et c’est ce jour-là que sa misère lui est le plus à charge. » Cet amour donné et rendu le ravissait.

Un jour il vit au sommet d’une colline un tout petit édifice en forme de croix construit en pierres mal jointes, sans ciment et couvert de chaume. Il comprit qu’on y disait la messe : tout autour sous la pluie, dans la boue, les paysans qui n’avaient pu y trouver place se tenaient à genoux. C’était la chapelle catholique de Blarnay. On y priait sous le toit à jour, à la lumière fumeuse des chandelles qui servaient de cierges. Et, l’office terminé, l’officiant vint, au seuil de l’église, annoncer que tel jour à telle heure, dans telle masure, il irait dire la messe et distribuer les sacremens. Les fidèles écoutèrent, se dispersèrent, les uns à pied ramassant leurs faulx et les jetant sur l’épaule, les autres à cheval prenant leurs femmes en croupe pour regagner leurs lointaines chaumières. Montalembert, après l’avoir vainement cherché ailleurs, voyait enfin la religion populaire et il se disait que le culte en est d’autant plus vivace qu’il est moins protégé. Pensant toujours à sa patrie, la notion lui venait qu’une Église libre n’est pas une Eglise triomphante, car, triomphante, elle devient intolérante à son tour. Le pouvoir n’est-il pas toujours objet de crainte et de défiance ? Séparé de lui, le catholicisme pouvait demeurer la création éternelle de l’âme populaire, son assurance idéale contre le malheur. Ainsi dans l’âme de Montalembert, au cours des « wanderjahren, » se définissait peu à peu l’idéal religieux : instrument non de pouvoir mais de charité pour le riche, instrument de liberté et refuge spirituel contre la misère de la vie pour le pauvre, auxiliaire pour tous d’une pensée attentive aux besoins des hommes et à leurs souffrances, poésie de l’histoire, libre jeu des consciences avides de beauté, de fraternité douce et sûre et d’espérance.

Il en était là, regardant et admirant tristement des étrangers, lorsque soudain en France une voix retentit qui semblait répéter avec autorité, avec éloquence, tous les échos dont vibrait son âme ardente. Une nouvelle révolution avait passé. Lamennais fondait le journal l’Avenir ; il appelait à lui les hommes épris d’amour pour Dieu, et pour la liberté ; il leur ouvrait un champ d’action nouveau. Quittant soudain l’Irlande, Montalembert y vola.