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touchée de l’amour filial et sans limites dont les écrivains de l’Avenir rendaient chaque jour l’ardent témoignage, intéressée malgré tout par cet effort nouveau pour ramener à l’Eglise ces légions populaires qui s’en étaient détachées ; mais elle demeurait inquiète d’un mouvement qui pouvait compromettre l’assise temporelle qu’elle croyait nécessaire à sa mission. Elle n’approuvait ni ne condamnait. Et, sur ces polémiques passionnées, elle laissait planer son silence.

Alors Lamennais et ses deux disciples conçurent le projet que l’on connaît : harcelés et condamnés par les évêques de France, ils iraient à Rome exposer au Pape leurs grands desseins, et Rome, éclairée des lumières éternelles, se prononcerait.

Montalembert, mieux renseigné par ses origines sur les vrais rapports des peuples avec les réalités de la vie nationale et sociale, semble avoir eu le premier pressentiment de ce qui arriverait. Il disait à Lamennais : « Et si nous sommes condamnés ? » Mais Lamennais, avec cet aveuglement de confiance qui fit plus tard l’aveuglement de sa révolte, répondait de sa voix dominatrice : « Charles, c’est impossible ! »

Avec un malaise croissant, Rome vit donc venir à elle, à petites journées, ces pèlerins nouveaux, moins soucieux de s’agenouiller devant son droit que de lui demander de consacrer le leur : le droit de faire jeter dehors par la voix populaire ces forces mortes ici et encore oppressives là qui encombraient la route de l’avenir et empêchaient la marche des peuples vers la conquête de la liberté. On sait ce qu’il en fut : le camp de l’Eglise lui-même était travaillé et partagé. Autour de nos pèlerins, prélats, cardinaux, jésuites, officieux ecclésiastiques, passaient et repassaient, les uns, augures favorables, entretenant les espérances de leurs encouragemens discrets ; les autres, hostiles, ou dépositaires de la vraie et bienveillante pensée du Pape, rendaient par leur silence, un doigt sur la bouche, leurs oracles muets. Et le Pape, chagrin de contrister le cœur de ces fils qui avaient, pour élargir son royaume spirituel, déchaîné et bravé des orages, s’inspirait pour les condamner des lenteurs de l’Eternité. Il eût voulu ne jamais parler. La nature attend la moisson pour dire au semeur s’il a jeté le bon grain ou le mauvais. Le Christ aussi n’a-t-il pas dit : « Vous jugerez l’arbre à ses fruits ? » Rome voyait bien les semeurs, mais non pas encore la moisson. Sur le champ qu’ils avaient travaillé avaient