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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/126

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une alliance hérétique entre les catholiques et les libéraux. Il s’indignait de voir les écrivains de l’Avenir, au nom de l’Eglise, se prêter aux revendications démocratiques, pousser les travailleurs à examiner les lois sous lesquelles ils étaient courbés, et demander eux-mêmes l’abolition de celles qui « constituaient en faveur des propriétaires fonciers et des capitalistes des avantages contraires à l’ordre naturel des sociétés. «  Les premiers, les rédacteurs de l’Avenir avaient compté à l’horloge du travail le nombre des heures que l’ouvrier passait courbé sur sa tâche. Ils demandaient que, pour certaines catégories d’entre eux, ce nombre qui atteignait quinze fût réduit à douze. Infatigable, Montalembert, qui avait fondé avec ses amis « l’Agence générale pour la défense des intérêts catholiques, » allait de Nancy à Metz, de Metz à Lyon, à Avignon, à Marseille. Partout les chaînes devaient se rompre sous la parole magique, libérale et catholique. L’Avenir nouait des relations, des correspondances avec la Belgique, les Etats-Unis, la Pologne, la Suède, l’Irlande. La fermentation était partout. Mais le passage du torrent révolutionnaire que les évêques avaient cru endigué à jamais et qui venait à nouveau de faire irruption et d’emporter un trône les avait laissés stupéfaits et irrités. Ils dénonçaient l’Avenir dans leurs mandemens et en défendaient la lecture aux jeunes prêtres. Et, sans relâche, partirent de France pour Rome les lettres dénonciatrices, qui suppliaient le Pape de censurer ces agitateurs, danger pour le troupeau, scandale pour les pasteurs.

Rome, à vrai dire, était loin d’ambitionner la prédominance politique au conseil des nations que, dans leurs conceptions nouvelles, lui conféraient les novateurs. Puissance temporelle elle-même, elle était à juste titre préoccupée de son œuvre de gouvernement. Elle avait senti la secousse que la révolution de 1830 avait imprimée à l’Europe. L’émeute de Bologne venait de lui rappeler la dépendance où ses attaches terrestres la tenaient vis-à-vis des autres souverainetés. Et si sa vocation spirituelle l’appelait hors des luttes politiques et temporelles, l’instinct de sa propre conservation la détournait d’entendre les appels fulminans faits à son autorité pour condamner le passé. Ce passé, elle en était la sainte et solennelle relique ; il lui avait transmis cette royauté terrestre qu’elle pouvait prendre pour un don de Dieu reçu de la main des rois. Elle se taisait donc,