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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/131

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son âme aux impressions délicieuses que lui causait la rapide vision des villes italiennes, de cette Florence surtout, qui s’animait dans son imagination du verbe de Savonarole et du cantique de suave espérance que chante toujours le Fra Angelico dans le cloître de San Marco. A peine si son mélancolique compagnon lui accordait quelques jours ou quelques heures pour courir aux églises, aux musées, dans la campagne ombrienne : partout il allait seul et ne parvenait pas à tirer Lamennais, « toujours malade et peu curieux, » de sa méditation farouche. Celui-ci, absorbé dans l’idée fixe, se laissait mener de ville en ville, insensible, n’écoutant que le grondement de son cœur et les plaintes des peuples qu’il avait voulu délivrer des chaînes dont Rome rivait les anneaux, Quel contraste entre Montalembert docile à la vie, à tous les enseignemens de l’art et de l’histoire, et Lamennais, souffrant et taciturne, les yeux toujours fixés sur son rêve obstiné !

On sait comment, à Munich, un singulier hasard leur fit retrouver Lacordaire qui, ayant appris leur prochain retour à Paris, était venu se terrer hors de France dans l’étude, le silence et l’oubli, désireux d’échapper aux reproches de l’un comme à l’influence de l’autre. Il en fut ce qu’il en devait être entre des hommes qu’une telle amitié avait unis. Montalembert n’admit pas une seule heure que Lacordaire se tînt à l’écart. Il alla à lui, l’amena à Lamennais, et c’est réunis et réconciliés qu’ils reçurent enfin leur sentence. Grégoire XVI, inquiet d’avoir vu Lamennais quitter Rome en annonçant la résurrection de l’Avenir, lançait derrière les voyageurs ses foudres.

L’Encyclique fut remise à Lamennais au cours d’un banquet qu’offraient aux trois écrivains français les écrivains et les artistes de Munich. On portait la santé de Lamennais, on buvait à l’union des catholiques de France et d’Allemagne, heure de trêve où Montalembert, réconcilié avec Lacordaire, heureux de cette trinité refaite en une seule âme et un seul dessein, s’abandonnait à une joie aveugle. Il était, dit-il, « d’une gaieté folle. » Lamennais lui-même, entouré de respects et de sympathie, se laissait gagner à la cordialité familiale des fêtes allemandes. Il aimait à sentir avec les étrangers cette fraternité religieuse que son pays lui refusait ; il oubliait ses chagrins, ses ressentimens ; il avait promis à Lacordaire d’abandonner l’Avenir et médité avec lui d’autres projets ; il ne sentait plus la condamnation