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pleura. Lamennais demeura sombre plusieurs jours. Quelque pressentiment troubla-t-il son cœur inquiet ? Avait-il senti qu’entre lui et Montalembert un lien de communion intime venait de se rompre et qu’il était rejeté à cette solitude qui aspire au dernier silence ? « Hier, écrivit-il à son ami au lendemain de leur séparation, en me promenant sur le bord de notre étang, je remarquai sous un rocher qui forme une espèce de voûte et d’où sort un chêne isolé, une place que je destinai en moi-même pour mon tombeau. »

Le froid de la mort avait-il passé entre eux ?


IV

Ainsi ce dernier asile manquait encore à Montalembert. Si son cœur s’émouvait de charité à la pensée de Lamennais, sa foi en son vieux maître avait fait place à la crainte. Il franchit la frontière sans émotion, car, disait-il, ne suis-je pas un exilé dans ma patrie ? Il erra en Allemagne, tantôt seul, tantôt avec un ami, méditant sur sa jeunesse perdue, cherchant dans les musées, les bibliothèques, les églises, les cathédrales, une distraction à cette stérilité dont Rome l’avait frappé en le condamnant, lui, nominativement, pour sa traduction et sa préface. Cette stérilité même faisait son âme aride. Epris des grandes causes de son temps, sensible à la vie des hommes, il ne voyait « dans ces monumens du passé que de grands tombeaux où il mourait de tristesse. »

Mais peu à peu, à Wiesbaden, à Mayence, à Cologne, à Bonn, à Francfort, il était reçu avec amitié par les catholiques des villes universitaires qu’un contact journalier avec des protestans avait pénétrés d’esprit libéral. Il goûtait avec eux la douceur qu’éprouve, devant la sympathie et le respect de l’étranger, celui qui a offert à son pays le meilleur de lui-même et s’en est vu rebuté. Il ne voulait pourtant se plaindre ni des Français, ni des Romains, mais il constatait que dans cette Allemagne d’âme religieuse, les libertés individuelles s’inspiraient des tolérances mutuelles. Les contrastes y étaient moins tranchés, les oppositions moins systématiques entre catholiques et non-catholiques qu’en France, où les divergences de pensée prenaient les formes de combat qui font des aveugles disciplines de parti la première nécessité de la défense, et où toute