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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/137

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velléité d’indépendance, l’effort de conscience qui porte un homme à s’examiner lui-même et à tenir compte du grief de l’adversaire est condamné comme une défection ? Et Rome elle-même ne se montrait-elle pas plus sévère, plus absolue dans ses restrictions et ses exigences envers ces catholiques de France à qui elle ne laissait d’autre alternative que de se soumettre en silence ou de passer au camp de l’ennemi ? Pourtant, il le sentait bien, le vrai rempart vivant du catholicisme était encore la France ; là était le vrai point de défense, comme aussi le vrai point d’attaque. La France avait des moyens d’action incomparables. Le Livre des pèlerins polonais n’avait eu tout son retentissement que lorsque Montalembert l’avait pris des mains de Mickiewicz et l’avait jeté à l’Europe en lui donnant les ailes de la langue française. Le Polonais faisant sonner ses chaînes, versant ses larmes sur sa patrie mutilée, s’il était resté muré dans la prison de sa langue, Rome n’eût peut-être pas censuré ses cris. Mais elle ne permettait pas qu’un écrivain français et catholique soufflât au nom du Dieu de justice l’esprit de guerre et de revanche au peuple à qui elle avait prêché la résignation ; elle lui rappelait que ce Dieu s’est réservé à lui-même l’exécution de sa justice et qu’il n’a donné mission à son Église que de parler de paix. Elle ordonnait la patience et le silence, et tandis que Lamennais, devenu auprès de Montalembert le tentateur, lui écrivait : « Les ukases s’entendent avec les brefs et les brefs avec les ukases, » ce silence, Montalembert ne le marchandait pas.

« Parler très peu ou pas du tout, » écrivait-il pour lui-même. Il goûtait les sympathies qui l’accueillaient. Son âme rêveuse, ouverte à toutes les manifestations d’une pensée humaine et sincère, plus douée pour l’amour que pour la critique, s’éprenait de l’art allemand. Il s’enfonçait dans les grands mythes germaniques qui avaient passé à travers la mystique du moyen âge et pénétraient encore une poésie vraiment populaire. Il les voyait enchanter les riches et les pauvres, les lettrés et les ignorans. Il goûtait une poésie faite de toute l’âme d’un peuple, mariée à ses croyances, à ses mœurs, liée à sa religion, souvenir vivant de toutes les pensées d’un monde qui ne renie pas sa jeunesse et puise encore aux sources fraîches où s’abreuvait son enfance. Le goût des philosophes pour la foi naïve de l’ignorant et le goût de l’ignorant pour ses philosophes, l’enchantaient.