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Il a semblé que non et que cette erreur de jeunesse, ce faux départ comme on a dit, fût dû à une intuition juste, à la vue claire des horizons, encore lointains, mais certains, qui s’ouvraient après l’orage des révolutions. L’humanité souffrait, pliait sous son fardeau : qui donc l’aiderait, la protégerait contre l’excès de ses propres rancunes, sinon une Eglise pauvre parmi les pauvres, juste parmi les injustes, abri toujours ouvert au plus faible ? Si Montalembert se trompa, ce fut sur son temps. Il sentait d’où venait pour la France et pour l’Eglise le souffle de la vie nouvelle ; il démêlait le terme où ce souffle les poussait. Il ne lui était pas donné d’y conduire son pays ni son Eglise. L’idéal qu’il avait voulu saisir lui répondit sévèrement par le Noli me tangere que le Seigneur dit aussi à Madeleine. Mais cet idéal ne cessait pas d’apparaître. Un jour vint où Rome, dégagée des liens temporels, et montée sur la cime d’infaillibilité, accorda à ses fidèles la liberté de pensée politique qu’ils se refusent trop souvent entre eux et fit aussi de la vie des humbles ? des pauvres, des ouvriers un de ses premiers soucis. Léon XIII se souvint-il des doctrines de l’Avenir lorsqu’il lança cette encyclique mémorable qui repoussait celle de Mirari vos dans un passé lointain ? Peut-être que non, mais le temps avait fait son œuvre, et Rome, attentive à ses enseignemens, en consacrait les conquêtes. L’Avenir avait justifié son nom.

Mais Montalembert n’était plus là pour voir monter les germes qu’il avait semés. Qu’avait-il voulu ? Unir l’idéal moderne de progrès, de liberté et de justice sociale à l’idéal religieux. Ce n’était pas sa mission d’y réussir, mais ce fut son honneur de le tenter. Heureux qui, à vingt ans, offrit à ses aînés les vues justes et généreuses qui passèrent pour son erreur, que son temps refusa, et dont le nôtre a profité.


CLAUDE BORINGE.