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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/145

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résignaient pas : leur union était brisée et ils en chérissaient l’ombre. Ils ne devaient plus se revoir et ils s’écrivaient encore, reprenant sans y croire leurs projets de lointains pèlerinages. Montalembert continuait à promener à travers l’Allemagne, de ville en ville, la tristesse de cette déception suprême qui le trahissait en tout ce qu’il avait cru, espéré, aimé. Les lettres de Lamennais le cherchaient et ne le trouvaient pas toujours. Souvent il n’y répondait plus. Alors viennent les plaintes, les reproches, la défiance. « Je doute, écrivait Lamennais, que tu aies beaucoup envie de me revoir. » Et cette amitié unique sombre dans le silence.

C’est que Montalembert a pris son orientation définitive. Pour lui, hors de l’Eglise dont Lamennais va sortir avec fracas, il n’est pas d’action efficace dans ce monde ni de salut hors de ce monde. Il s’incline, il se soumet. A vingt ans, il a espéré gagner son temps à ses rêves de jeunesse, de liberté, de bonheur ; il a voulu que, sur la terre comme dans son âme, ce fût le printemps béni des hommes, et c’est l’hiver triste et rigoureux qui est venu. Il sent l’inanité de son rêve solitaire, il se résigne. Le 8 décembre 1834, descendu dans la douce Italie, entouré de ses amis Albert et Alexandrine de La Ferronays, il a envoyé au Pape une adhésion formelle aux deux encycliques. Il ne reniait pas ses idées, mais il arrêtait son action ou plutôt il l’incorporait à celle de l’Eglise.

Comme Lacordaire, qui fut pour lui en cette épreuve ce qu’il aurait voulu être pour Lamennais, il eût pu dire plus tard : « Je meurs en chrétien pénitent et libéral impénitent. » Il fut, ce jour-là, il demeura toute sa vie le libéral obéissant, le libéral catholique, celui qui, ayant eu le courage de penser et d’avertir, a aussi la sagesse de se taire et de s’incliner.

Il avait fait son sacrifice personnel et arrêté son action, mais, dans le cours du temps, elle n’était que suspendue. Pourquoi, dira-t-on, avoir réveillé le souvenir de cette période troublée de jeunesse, de ces luttes abolies, si l’on voulait tardivement apporter un hommage au centenaire de Montalembert ? N’a-t-on pas mieux à dire de lui ? Son existence ultérieure ne s’est-elle pas déroulée pleine de labeurs et d’honneurs, féconde pour les panégyristes, agréable à l’Eglise : ne devait-on pas laisser dans l’ombre cette erreur de jeunesse qui laissa la tristesse dans son cœur, et le souvenir de l’insuccès dans sa vie ?