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qu’on lui a réuni la maison Boccardi, et il y a de quoi loger beaucoup de monde. Mais les appartemens sont cependant assez mal distribués.


Quinze jours plus tard, et non sans s’être fait quelque peu attendre, le comte d’Artois, qui s’était attardé près de Mme de Polastron, arrivait enfin à Moncalieri. La famille royale tout entière s’était réunie pour le recevoir.


14 septembre. — On vint nous dire qu’il approchait et nous nous sommes rendus en bas de l’escalier pour le recevoir. Il arriva à onze heures du matin. Il descendit de voiture fort légèrement et se présenta avec une désinvolture vraiment française ; on n’aurait jamais dit que c’était un malheureux qui fuyait des mains des gens qui voulaient le tuer.

Le Roi l’embrassa et le conduisit en haut. Il est plutôt grand et carré, très bien fait de sa personne et a une belle physionomie. Il était en uniforme. Il est âgé de près de trente-deux ans. Le Roi le conduisit chez la princesse (de Piémont) et nous l’y avons suivi. Elle attendait dans son cabinet avec la duchesse d’Aoste et Madame Félicite, parce qu’elle ne se sentait pas la force de soutenir cette entrevue avec son frère, en présence de tout le monde. D’abord qu’elle l’aperçut, elle se jeta à son col et cria : Ah ! mon frère !

Ils restèrent tous les deux fort longtemps embrassés, et se donnèrent les marques de la plus vive tendresse[1].

Nous sommes restés là jusqu’à onze heures trois quarts, puis nous sommes sortis dans le cabinet d’audience où on lui nomma toutes les dames, et l’ambassadeur de France présenta les gentilshommes de la cour du comte d’Artois, qui sont déjà au nombre de six ; il est à croire que le nombre augmentera bien encore. Il y a le prince d’Hennin, capitaine de la garde, et MM.de Castelnau, de Roll, de Rebourgueil et deux autres dont j’ai oublié les noms.

Puis le Roi lui présenta nos messieurs, et nous sommes allés à la messe.

Après la messe, nous sommes allés dîner, et nous nous sommes mis tous pêle-mêle, pour éviter le cérémonial.

Même jour. — Après le dîner, le comte d’Artois a parlé des affaires de France, en faisant beaucoup de réflexions fort à propos. Ce qui marque que, quoiqu’il soit un peu étourdi, il ne laisse pas d’avoir beaucoup d’esprit et le cœur bien placé.


Si Charles-Félix malgré sa réserve est assez sincère pour reconnaître les qualités du comte d’Artois, par contre, la suite du prince, assez considérable et un peu bruyante sans doute, l’irrite déjà En plus d’un nombreux personnel domestique,

  1. Ils s’embrassèrent si serrés, dit le comte de Maurienne, qu’ils en devinrent cramoisis.