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La surveillance étroite de son beau-père, préoccupé avant tout de se renfermer dans la neutralité, venait à chaque instant paralyser ses entreprises contre la France révolutionnaire ou entraver ses démarches auprès des cours étrangères. Aussi à la nouvelle que l’empereur Léopold projette un voyage à Venise, il se décide à lui écrire pour solliciter une entrevue. Sans attendre sa réponse, il part le 4 janvier 1791 de Turin, où il laisse sa femme et ses enfans, pour Venise avec l’espoir de se réunir à Mme de Polastron et de plaider la cause de sa belle-sœur et de son frère.

Deux jours après, les Condé quittaient à leur tour Turin pour Stuttgart, où leur présence devait être plus utile à la cause royale, en raison des difficultés qui s’élevaient entre la France et la Diète germanique. Les princes piémontais, après avoir supporté si impatiemment la présence de leurs hôtes et les avoir jugés avec si peu d’indulgence, rappellent un peu tardivement leurs sentimens de générosité et manifestent quelque émotion de leur départ.

5 janvier 1191. — Le 5 janvier, visite des trois princes de Condé qui vinrent prendre congé du Roi. Ils avaient l’air fort tristes, et nous étions tous si embarrassés que je ne savais plus que dire... Dîner de toute la Cour et des quatre Condé. Nous les avons fait placer parmi nous ; j’étais à côté du duc d’Enghien, lequel a fait de grandes lamentations sur son départ, et sur le mauvais carnaval qu’il allait passer à Berne. J’ai eu pitié de lui et lui ai témoigné plus d’amitié qu’à l’ordinaire. La princesse Louise est de fort mauvaise humeur, le prince de Condé et le duc de Bourbon paraissent au désespoir. A deux heures et demie que le Roi nous a congédiés, nous avons fait nos complimens à toute la compagnie. Le duc d’Enghien pleurait, et nous leur avons souhaité un bon voyage. Je croyais que le départ de tous ces Français devait me faire un très grand plaisir, mais point du tout, je trouve que j’en ai eu pitié... A cinq heures et demie mous sommes allés chez la comtesse d’Artois ; elle était fort triste et abattue. Il y vint le prince de Condé et le duc d’Enghien pour prendre congé d’elle. Je suis resté tout embarrassé et ce second adieu n’a pas très bien réussi.


Tandis que s’éloignaient le comte d’Artois et les Condé, de nouveaux émigrés, appartenant eux aussi à la maison de Bourbon, arrivaient de France : c’était, cette fois, Mesdames, filles de Louis XV, tantes du roi Louis XVI qui, avant de gagner Rome où elles allaient se réfugier, venaient se reposer quelques jours près de leurs parens de leurs émotions et de leurs alertes.