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On sait comment Madame Victoire et Madame Adélaïde, ne se sentant plus en sûreté à Bellevue, s’étaient éloignées brusquement au milieu de la nuit pour échapper à une populace furieuse qui, peu d’instans après leur départ, avait envahi le château et mis les appartemens au pillage. Les infortunées princesses avaient péniblement gagné la frontière. Leurs voitures avaient franchi au milieu des huées le pont de Beauvoisin qui sépare la Savoie et la France. En revanche, des acclamations et des salves d’artillerie avaient salué leur entrée dans les Etats Sardes. Escortées d’une garde brillante, les deux vieilles princesses, après s’être dirigées sur Chambéry, avaient pris la route de Turin, où le palais Birago qu’avaient occupé les Condé venait de leur être préparé. Le comte d’Artois, qui n’avait pu rencontrer à Venise l’empereur Léopold, reprit la route de Turin et vint saluer ses tantes à leur arrivée. Mais son séjour cette fois devait être fort bref : il y demeurait seulement du 6 au 29 mars, et repartait de là pour Parme, triste et découragé par les événemens.

Le récit de l’entrée et du séjour des princesses à Turin est fait par Charles-Félix de la façon la plus pittoresque et la plus piquante.


12 mars 1791. — On a eu des nouvelles de Mesdames de France, qui sont arrivées heureusement à la Novalaise.

13 mars. — Le dimanche 13, après dîner, nous avons vu partir les Piémont pour Rivoli : ils vont à la rencontre des princesses. Le Roi était préoccupé, on lui avait dit qu’elles étaient toujours en chapeau et en frac, et cela lui déplaisait tort, mais nous lui avons assuré que les Piémont ne les laisseraient pas se présenter ainsi faites. Puis nous sommes rentrés chez nous. Le temps était superbe, chacun courait hors de la porte pour voir arriver ces infortunées princesses, dont les malheurs ne peuvent qu’intéresser tout le monde. A cinq heures nous sommes allés chez le Roi, où il y avait déjà les d’Aoste et Madame Félicité[1] ; il y avait aussi les Chablais. On a dit que la promenade hors de la porte Suzine était superbe,

A six heures et demie environ, nous avons vu arriver les petits d’Artois à cheval et le Roi ; nous autres tous, nous sommes descendus au petit appartement, et de là à quelques minutes, le comte d’Artois arriva. C’était déjà nuit et on avait allumé les bougies. Nous avons de nouveau entendu battre le tambour. Nous sommes allés tous sous les arcades pour les recevoir, et les Piémont et les princes arrivèrent. Les Piémont descendirent les premiers, puis Madame Adélaïde à laquelle le Roi donna la main pour la descendre du carrosse ; mais elle ne le connut pas, jusqu’à

  1. Marie-Félicité de Savoie, fille non mariée de Charles-Emmanuel III.