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que l’Empereur avait fait placer tout le long de la route des hussards avec des chevaux, déguisés en maquignons, qui les suivaient à mesure qu’ils passaient. Cette petite escorte fut battue par la milice nationale. Quand ils furent arrivés à Varennes, on les reconnut, on sonna le tocsin et on les arrêta. Le reste est comme on l’a dit, hormis que Madame Élisabeth et la petite Madame sont parties avec le comte de Provence et que Madame est avec ce M. de Fersen qui a été ici avec le roi de Suède. Enfin, à présent, il y a tout lieu d’espérer que la famille royale est en sûreté.

1er juillet, Moncalieri. — On a dit que le roi de France était à Metz.

4 juillet, lundi. — Ce matin nous avons eu la triste nouvelle que toutes les espérances que nous avions eues de la délivrance du roi de France étaient entièrement fausses, puisqu’il avait été reconduit à Paris.

9 juillet, Moncalieri. — A trois heures et demie, nous nous sommes rendus à Turin pour aller voir la comtesse d’Artois : nous sommes entrés chez elle, mais sa chambre était si obscure qu’on n’y voyait goutte. Nous avons alors ouvert un peu la fenêtre. Elle nous a dit qu’elle avait pris la résolution de ne plus retourner en France, quand même les choses se seraient accommodées, et qu’elle se retirait dans un couvent.

12 juillet. — La comtesse d’Artois m’a dit qu’elle avait fait part au cardinal de la résolution qu’elle avait prise, mais que le cardinal l’avait engagée à n’en rien faire et à ne pas se séparer de son mari et de ses enfans.

La comtesse d’Artois vint dîner, et, après dîner, elle fit voir une lettre qu’elle avait eue de Madame, dans laquelle elle lui faisait la narration de sa fuite de Paris, et en voici l’abrégé. L’après-dîner de la veille de son départ, elle était tranquillement dans sa chambre, ne se doutant pas du tout de ce qui allait arriver, lorsqu’elle vit entrer une de ses femmes qui s’appelle Mme de Gourbillon, qui lui présenta un billet de Monsieur dans lequel il lui disait d’ajouter foi à tout ce que cette femme lui dirait puisque c’était sa propre volonté ; qu’il connaissait la fidélité et la résolution de Mme de Gourbillon et que c’était pour cela qu’il s’était confié à elle. Celle-ci apprit alors à Madame que Monsieur lui avait annoncé que le Roi s’en allait et qu’elle devait aussi partir dans la nuit, mais que Monsieur partait seul avec M. d’Avaray pour donner moins de soupçons. Ma sœur ne fit semblant de rien ; elle soupa à son ordinaire et, après souper, elle feignit d’avoir un grand mal de dents, elle se coucha, renvoya ses femmes et lorsque toutes furent retirées elle se leva sans bruit, prit le peu de nippes qu’elle avait dans sa chambre et sortit toute seule de son appartement, par un petit escalier qui donne dans un jardin. La nuit était très obscure et elle alla en tâtonnant jusqu’à la porte du jardin, où elle trouva Mme de Gourbillon. Elles passèrent devant plusieurs gardes nationaux qui ne les reconnurent point, puis elles montèrent dans un fiacre avec la seule escorte du domestique de Mme de Gourbillon qui leur servit de courrier. Ainsi en tout et partout ils n’étaient que trois. Elles allèrent descendre à la maison de la femme (Mme de G.), et là elles trouvèrent une mauvaise diligence à trois chevaux, elles montèrent dedans et partirent. ???) sœur avait un battement de cœur terrible à toutes les sentinelles qu’elle