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qu’on lui faisait une cour ici et qu’elle ne retenait que Mme de Gourbillon. J’en eus horreur, et je vis bien que tout le reste était sacrifié à cette maudite sorcière.


Autoritaire et intrigante, Mme de Gourbillon, qui avait le titre de « lectrice du cabinet, « avait pris depuis longtemps sur Madame une fâcheuse influence que Monsieur avait essayé déjà de combattre, en séparant la comtesse de Provence de sa favorite. Mais la ténacité et l’habileté de cette dernière avaient triomphé de tous les obstacles. Pour demeurer seule auprès de sa maîtresse et la mieux dominer, elle voulut faire partir de Turin Mme de Caylus et de Montléart. Les princes de Savoie prirent violemment parti contre elle, ce qui n’empêcha pas « cette maudite sorcière, » comme l’appelle Charles-Félix, d’en venir à ses fins et de faire remplacer par la comtesse d’Osasc et la comtesse Brezio, toutes deux Piémontaises, les dames venues de France dont elle désirait le renvoi.


10 décembre. — On calomnie Mme de Montléart d’une chose infâme pour trouver une raison de la faire partir. C’est une intrigue de Mme de Gourbillon, de l’abbé de Castillon et de M. de Milleville pour ne rester qu’eux seuls auprès de Madame.

La duchesse de Caylus, dame de garde, est aussi des expulsées, mais nous lui avons beaucoup parlé pour lui faire voir que nous n’avions rien contre elle.

11 décembre. — Madame vient avec Mme de Montléart chez le Roi, qui l’avait obligée à l’amener avec elle pour qu’elle ne paraisse pas sous les couleurs d’une misérable ; et comme, en entrant dans le cabinet, Mme de Montléart vit dans le cercle Mmes d’Osasc et de Brezio qu’on a faites dames de Madame, en grand habit, pour faire leur révérence, elle demanda ce que cela voulait dire à Mme de Virolenque. Celle-ci, se trouvant embarrassée, lui répondit de le demander à Mme de Sambuy qui devait les présenter, parce qu’elle ne savait pas bien ce que c’était. Enfin le Roi arriva et on présenta ces deux dames, mais Madame était si embarrassée qu’elle ne leur dit rien. Nous sommes allés souper et avons parlé tous à Mme de Montléart, pour lui prouver que nous ne croyions pas à ce qu’on avait dit d’elle. Elle avait un air fort triste et tint toujours les yeux baissés. Tout le monde en eut pitié.

13 décembre. — Le Roi a parlé défavorablement à Mme de Gourbillon, mais le lendemain, c’était fini.


À cette heure où leurs époux erraient à travers l’Europe l’asile le plus naturel et le plus digne d’elles était, pour les deux princesses de Savoie, cette cour où elles étaient nées et où s’était écoulée leur enfance ; aussi, malgré ces légers nuages, continuérent-elles