Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à séjourner à Turin jusqu’à ce que la Révolution triomphante vînt une seconde fois les forcer à partir.

Dans ce milieu familial, on voit clairement se manifester chez l’une et l’autre sœur la différence de leurs natures et l’opposition de leurs caractères : les deux princesses qui, même à Versailles, n’ont jamais vécu dans une intimité bien grande, ne se rapprocheront pas davantage à Turin. Paisible et douce, la comtesse d’Artois, sous l’influence de la princesse Clotilde à laquelle elle s’était bien vite attachée par les liens de la plus étroite affection, se donna tout entière à la dévotion. « A Paris, — écrit le pieux biographe de la reine Marie-Clotilde, Cesare Cavattoni, — elle s’était un peu relâchée et, à son arrivée en Piémont, elle n’était pas très adonnée aux exercices de la piété. Mais l’exemple des vertus de la reine Clotilde la désabusa bientôt des attraits de la vie mondaine. » Les saints discours et les bons conseils de sa belle-sœur achevèrent si bien de la convaincre qu’elle avait formé le projet de se retirer au couvent, Marie-Clotilde elle-même l’en dissuada, en lui montrant que sa place était dans le monde, auprès de son mari et de ses enfans et que son devoir était de les aider et de les soutenir de son affection et de ses conseils dans leurs déboires et leurs infortunes. Avec ses sentimens de volontaire effacement, on comprend que la comtesse d’Artois n’ait joué à Turin qu’un rôle des plus effacés. La comtesse de Provence, avec son caractère capricieux et instable, mène une vie plus bruyante. Le journal de ses frères est rempli de ses bizarreries et de ses accès d’humeur, qu’une santé chancelante explique souvent, mais que l’on paraît parfois attribuer peut-être à tort à une cause moins innocente. Le comte de Maurienne écrit le 1er mai :


Madame était dans un état pitoyable : on ne sait si elle est en mal.


L’exagération de ses plaintes empêche souvent qu’on ne les prenne au sérieux :


10 septembre. — Madame a fait une scène parce qu’elle prétendait être empoisonnée et son histoire a touché bien des gens. Pour moi, je l’ai trouvée ridicule, écrit Charles-Félix.

Le Roi me mène à Turin, dira à son tour le comte de Maurienne, pour voir Madame qui a eu les fièvres que l’on disait être tierces. Elle était couchée et fort abattue et plaintive, comme si elle était à l’extrémité.


Les deux frères ne semblent pas, du reste, avoir plus d’indulgence