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aime Pierre de Lancry. Et, comme c’est l’usage aujourd’hui que les jeunes filles fassent des déclarations aux jeunes hommes et même aux hommes d’un certain âge, elle vient d’adresser à Pierre un billet dont elle attend la réponse. Elle conte ce trait ingénu et hardi à sa tante Mme de Sermaize, sous le voile d’une aventure arrivée à une amie. Le voile est transparent ; Mme de Sermaize a de bons yeux ; et Marie-Rose avait éperdument envie de ne pas remporter son secret avec elle. Pierre de Lancry est le jeune premier moderne. Il a quarante ans, qui est l’âge où un homme peut commencer à plaire. Si Arnolphe eût vécu de nos jours, il n’aurait pas eu à s’arracher tout un côté de cheveux : Agnès se serait jetée à sa tête. Pierre est riche, d’une fortune qu’il a faite lui-même en Amérique. Aujourd’hui le Prince charmant grisonne aux tempes ; mais il est très fort en affaires et honorablement connu sur la place.

Il va sans dire que Pierre de Lancry aime Primerose, comme il en est aimé. Or, au moment précis où il lit le billet de la jeune fille, il reçoit d’Amérique une nouvelle foudroyante : il est ruiné. Dans ces conditions, il ne se reconnaît plus le droit de prétendre à la main de Primerose. Pour se garder lui-même contre tout retour de faiblesse, et se rendre impossible toute défaillance, il recourt à un mensonge chevaleresque ; il répond à Primerose : « Je ne vous aime pas. » Aussitôt le parti de Primerose est pris : elle entrera au couvent. Justement elle connaît, dans le voisinage, un couvent à souhait pour jeunes filles de son monde et dans son cas, le couvent de Sainte-Claire, où tout, comme le nom, est clair et gai. On y soigne les enfans, ce qui est une manière de jouer à la poupée. Comme elle avait confié son amour à sa tante de Sermaize, Primerose demande avis à son oncle, le cardinal de Mérance, sur son projet de retraite religieuse. Oncle et tante sont bien de la même famille. Ils connaissent la vie et lui sont indulgens. Comprenant que, dans l’état d’esprit où elle est, sa charmante nièce a besoin de faire une folie, l’homme d’Église estime que le mieux est de la faire avec Dieu. Comme Hamlet à Ophélie, mais d’un autre ton, il lui donne le conseil désiré : « Entre au couvent. »

J’aime bien la convention au théâtre ; mais ici vraiment on en a trop mis. Puisque ce sont des variations sur un thème connu, il est juste qu’on emploie uniquement des types connus pour les placer dans des situations connues ; toutefois on voudrait qu’il y eût dans les paroles et dans les actes un minimum de vraisemblance. Comment se peut-il que Primerose ait été si facilement dupe du mensonge héroïque de Pierre de Lancry ? Il lui dit qu’il ne l’aime pas ; mais les mots eux-mêmes