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sont ce qui signifie le moins en amour : tout est dans l’accent, dans l’atmosphère, et ce qui se fait le mieux entendre est ce qu’on ne dit pas. Une ingénue ne s’y trompe pas plus qu’une autre. Cette Primerose, pour n’avoir pas deviné que Pierre avait un secret, et pas tenté un effort pour le lui arracher, est bien innocente. Pierre, de son côté, agit avec une « jeunesse » que son âge devrait lui interdire. Il a sur les questions de délicatesse et de point d’honneur des sentimens venus tout droit des romans d’Octave Feuillet, mais qui, dans la vie réelle, dénotent quelque puérilité. Admettons qu’il soit aussi complètement ruiné qu’il le croit, et que d’ailleurs il ne l’est pas : il a fait une première fois sa fortune, il peut la refaire. Où serait le mal que Primerose fût associée à cette existence intelligente, active et laborieuse ? Tout ne vaut-il pas mieux que de s’en aller comme un sot, quand on aime et qu’on se sent aimé ? — Quant au cardinal de Mérance, je n’ignore pas qu’il est prélat romain, cardinal de curie, célèbre pour la liberté de ses allures et pour la hardiesse de ses boutades ; malgré tout, c’est un ecclésiastique. Et puisque ce n’est pas un naïf, il me semble qu’il fait preuve d’une conscience bien large en prêtant les mains à un projet d’où il sait que la vocation religieuse est totalement absente... Mais il fallait que Primerose entrât au couvent, quand ce ne serait que pour pouvoir en sortir.

Une jeune fille s’est réfugiée dans un couvent, par dépit amoureux. Que va-t-il se passer en elle ? Quel sera sur l’état de son âme l’effet des conditions nouvelles où elle se trouve ? C’est ici qu’un peu d’analyse ne serait pas seulement en situation, mais s’impose de toute nécessité, puisque la vie religieuse est faite essentiellement de vie intérieure. Continue-t-elle d’aimer, dans le secret de son cœur, celui dont il est impossible qu’un peu de réflexion ne lui ait pas découvert le scrupule exagéré ? Et commence-t-elle d’étouffer dans la prison où elle s’est volontairement enfermée ? Ou ce grand amour n’était-il qu’un vague désir vite usé par les menues pratiques de la dévotion journalière ? Ou encore la religieuse par occasion a-t-elle été conquise à un milieu dont on sait la mystérieuse et pénétrante influence ? Une vocation véritable l’attendait-elle derrière les murs du couvent où l’ont amenée les raisons les plus profanes ? L’amour divin a-t-il fait pâlir et s’évanouir la tendresse humaine ? Toutes ces hypothèses et bien d’autres encore étaient possibles. Du moins fallait-il en adopter une, et ne pas se contenter de l’indiquer en quelques traits superficiels, mais nous y intéresser et nous initier à ce travail de conscience. Pourquoi MM. de Flers et de Caillavet y auraient-ils répugné ? Ils se