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et ses filles de ferme, une vie crapuleuse, pour venir faire à Paris la grande noce. La marquise paie docilement, crainte du scandale, et pour ne pas défaire l’échafaudage compliqué et fragile de sa respectabilité. Telle est la « famille » que le destin jaloux a infligée à la plaintive Raymonde. Pour la tirer de cette caverne, il n’y aurait qu’un moyen : le mariage. Mais c’est ici que commence la difficulté.

Comment l’élégant Gilbert Rivers s’est-il épris de la jeune fille ? L’a-t-il aperçue dans le parloir d’un couvent, comme c’était la mode au bon vieux temps ? Toujours est-il qu’il la retrouve chez la marquise de Croix-Fontaine, fait avec elle toutes sortes de jolis rêves, et ne doute pas que ses affaires ne soient en excellente voie, tant l’accueil de la marquise est encourageant. Mais aux premiers mots d’une demande en règle, tout s’effondre. La mère a pris pour elle les assiduités qui s’adressaient à sa fille ; ce n’est pas un gendre, c’est un amant qu’elle a espéré trouver en Gilbert. Elle a d’ailleurs, pour Raymonde, un autre prétendant de son choix, un politicien sans scrupules et plein d’avenir, qui ne chicanera pas sur la dot, et ne s’embarrassera pas de certaines questions délicates. Dans un tel conflit, placée entre l’élu de son cœur et le protégé de sa mère, de qui Raymonde peut-elle attendre du secours ? Vous l’avez dit : de son père !… Autant cette idée nous semble folle à nous qui savons, autant elle doit sembler simple et de bon sens à une fille ignorante du secret de sa naissance. C’est ici la situation maîtresse de la pièce, et pour laquelle probablement toute la pièce a été faite. Et voilà donc Raymonde partie à la recherche de son père.

Le troisième acte qui nous introduit dans la tanière seigneuriale du marquis de Croix-Fontaine est de beaucoup le meilleur de tout l’ouvrage. Il est d’abord excellent de pittoresque. Dans une salle basse, qui peut être une cuisine, le marquis, attablé avec ses domestiques, joue, boit, fume, ricane et s’enlize dans l’encanaillement : saisissant raccourci, où tient la vision d’une existence de turpitude. Et ce qui vaut mieux encore, c’est le mouvement de tout cet acte, où nous suivons, chez le vieux brigand, l’éveil et le progrès d’une émotion qui, sans doute, n’avait pas figuré au programme de ses arrangemens matrimoniaux. Peu à peu gagné par la grâce et la bravoure de Raymonde, il se sent naître à la paternité pour cette fille qui n’est pas sa fille. C’est une variante de la fameuse « voix du sang. » Je la crois nouvelle ; l’invention en est, en tout cas, ingénieuse et amusante. Les auteurs, qui sont rompus à toutes les roueries du métier, y ont mis une nuance d’ironie à peine perceptible, qui ne nuit