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de l’artifice par lequel les auteurs amèneraient l’heureux hyménée d’Albert et d’Ernestine, qu’il a fallu tout leur talent pour tirer de si peu de matière un acte encore agréable.

La pièce de MM. de Flers et de Caillavet est très inégalement jouée. Mlle Leconte est infiniment gracieuse dans le rôle de Primerose où elle fait preuve de beaucoup de tact et du sentiment des nuances le plus délicat. Mme Pierson est excellente en duchesse de Réville, je veux dire en comtesse de Sermaize. Mais le rôle assez ingrat de Pierre de Lancry n’a pas bien servi M. Grand et M. de Féraudy semble peu fait pour la pourpre cardinalice.


Il n’y a pas de sujet plus propre à émouvoir la sympathie du public, que le roman d’une jeune fille persécutée. Et quand cette jeune fille est persécutée par sa mère, une situation si cruelle est faite pour attendrir les plus endurcis. C’est justement la situation de Raymonde de Croix-Fontaine. Elle ignore à peu près complètement le foyer familial. Elle a toujours vécu dans des couvens, des pensions et même des pays étrangers. De temps en temps, elle a reçu la visite de sa mère, une personne peu expansive et surtout très pressée. Quant à son père, on le lui a toujours promis pour la prochaine fois. En sorte que Raymonde, arrivée à dix-huit ans et plus, sans avoir jamais pu rencontrer l’homme dont sa mère porte le nom, quoique cet homme soit vivant, bon vivant et point divorcé, en conçoit de la surprise et surtout de l’affliction.

Il y a, en effet, un mystère, — et Raymonde en est l’enfant. Elle est née des amours d’une aventurière et d’un lord anglais. Le lord étant venu à mourir, et lui ayant laissé toute sa fortune, la mère de Raymonde s’est mise en quête d’un pseudo-mari qui, moyennant une honorable redevance, et en promettant de se tenir à l’écart, lui procurât un nom et même un titre. Justement le marquis de Croix-Fontaine, d’excellente famille, pourvu de nombreux quartiers de noblesse et de créanciers encore plus nombreux, touchait à l’extrême limite des expédiens. Ces deux ignominies se rencontrèrent. Ainsi fut conclu ce mariage d’une gourgandine et d’un décavé. La marquise de Croix-Fontaine mène à Paris une vie brillante ; elle a un salon où l’on cause politique et littérature ; elle a même de l’influence. Parfois, à l’issue d’une réception, surgit un individu, généralement ivre ; la langue pâteuse et le verbe insolent, quémandant et menaçant, il réclame un supplément d’allocation : c’est le mari. Il arrive en effet que ce gentilhomme quitte le château de Sologne où il mène, entre ses gardes