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d’un grand nombre de pièces étrangères qu’on a prétendu imposer à notre admiration. Ce mérite de simplicité revient sans doute, pour une bonne part, à l’adaptateur, M. Serge Basset, et je lui en adresse tout mon compliment. Si d’ailleurs on a fait partout à la pièce de M. Lengyell si bon accueil, c’est qu’elle entre dans le vif de préoccupations qu’on peut dire aujourd’hui européennes. Elle appartient en effet au « théâtre d’idées » qui m’a toujours paru une des formes supérieures de la littérature dramatique. L’auteur est parti d’une idée et il s’est efforcé ensuite d’en trouver la transposition dramatique. Cette idée est une idée ethnique : l’opposition de deux races. Le Typhon est une pièce sur le « Péril jaune. » Mettre le « péril jaune » en quatre actes de prose est une entreprise certainement originale et préférable à celle de mettre l’histoire romaine en madrigaux. Voyons donc comment l’auteur s’en est tiré, et, puisque nous sommes au théâtre, par quels moyens de théâtre il a extériorisé et matérialisé une idée philosophique, politique, économique, sociale, et même religieuse.

Il fallait d’abord nous donner l’impression que le Japon est en conspiration permanente contre nous. C’est avec nos armes qu’il veut et qu’il doit nous battre. L’objet qu’il poursuit est de nous dérober le secret de ce fameux Progrès, dont nous sommes si fiers, en attendant d’en être victimes. Donc une mission a été envoyée à Berlin, dont le chef, Tokeramo, est le type même du Nippon de grande allure et de haute culture. Tokeramo installe, au cœur de la cité allemande, un centre d’informations des plus actifs. L’objet de sa mission est mal défini, parce qu’il est complexe : de toute évidence, le champ de ses opérations s’étend de l’initiation scientifique à l’espionnage international. Nous ne concevons d’ailleurs aucun doute sur l’importance de cette mission et sur la valeur du travail auquel se livre Tokeramo. Nous avons trop présens à l’esprit les souvenirs de l’étonnante guerre russo-japonaise. Nous avons trop constamment sous les yeux l’extraordinaire expansion prise subitement par ce petit peuple, hier ignoré ou raillé, et dont nous avons vu soudain surgir l’inquiétante fortune. La mission de Tokeramo ne nous dit rien qui vaille. On sent planer une menace, rôder un péril.

Ce qu’il y a d’admirable chez nous et que les Asiatiques peuvent nous envier, c’est le progrès des arts mécaniques et ce sont les applications de la science à l’industrie. Mais à ce domaine tout spécial se limite notre supériorité. Pour tout ce qui est mœurs, sentimens, organisation sociale, comment notre civilisation si récente supporterait-elle