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leur chant national : « Un ¾ en fa majeur, qu’un compositeur français, un nommé Berlioz, a introduit dans sa Damnation de Faust, comme il y avait du reste introduit aussi l’air national de Racocksy. » Quant aux notes épistolaires du voyage en Andalousie, pour la vivacité, fût-ce la crudité, pour la couleur voyante et tapageuse, mais pour l’entrain, pour la vie emportée et débordante, elles sont comparables et d’avance elles ressemblent aux notes musicales d’España.

Quelque sujet que traite Chabrier dans ses lettres, quelque nouvelle qu’il donne, il le fait sur le mode plaisant, quand ce n’est pas burlesque. Un voisin de campagne « a perdu dernièrement sa vache d’une fièvre de lait ; j’ai cru qu’il prendrait le deuil. Il pleurait comme un veau. » Sur l’histoire de France, il a des vues sommaires et cocasses : « Louis XI, un sale bougre. Il paraît quand même que c’est un des plus beaux règnes de notre histoire. »

Voici, d’après Chabrier, comment se compose, ou se décompose, l’ancien opéra français : « 1o Un acte d’exposition ; 2o l’acte des dindes, avec vocalises de reines ; 3o l’acte du ballet avec le sempiternel finale qui rebrouille les cartes ; 4o le duo d’amour de rigueur, 5o le chahut de minuit moins vingt, pétarade de mousqueterie, chaudière à juifs, mort des principaux labadens. » Et dans cette formule irrespectueuse il est malaisé de ne pas reconnaître les élémens de la Juive mêlés à ceux des Huguenots[1].

La charge, ou « la blague, » éclate à tout moment dans certaine correspondance familière, où la tempère seulement l’expression parfois touchante d’une sollicitude et d’une affection quasi filiale. Les Lettres à Nanine sont adressées à la vieille servante, ou, pour mieux dire, d’un mot plus juste et plus tendre, à la vieille « bonne, » dont la bonté servit en effet et suivit Emmanuel Chabrier depuis le berceau presque jusqu’à la tombe. Nanine l’avait « pris tout petit, » et ne le quitta qu’en mourant, deux années avant qu’il mourût, son « Mavel, » ainsi qu’elle l’appelait et qu’en lui écrivant il s’appelait lui-même. Il lui écrit, pendant le printemps et l’été de 1890, de Touraine, d’une petite maison de campagne, la Membrolle, où Nanine, malade gravement, n’a pu venir. Il tient pour elle un journal intime, le plus souvent comique. Il lui raconte gaîment, en détail, — et volontiers en gros, en très gros, — la vie rustique et familiale où la brave créature doit souffrir, toute seule à Paris, de ne plus être mêlée.

Du 31 mars : « Rien de nouveau dans le pays. Personne ne claque,

  1. Lettres inédites d’Emmanuel Chabrier, publiées par M. Robert Brussel dans le Bulletin français de la S. I. M. (13 janvier et 15 février 1909).