Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débraillé des rythmes, et certaine intrusion des trombones, lâchés soudain à travers la symphonie, comme pour la bousculer et la démolir. Wagnérien de la première heure, Chabrier avait mis en quadrilles une partie de Tristan et de la Tétralogie. Et ce fut sa façon, l’une au moins de ses façons à lui, bien à lui, d’aimer le maître allemand.

Au théâtre, Chabrier débuta par une opérette en trois actes, l’Etoile (paroles de Leterrier et Vanloo), représentée en 1877 sur la scène des Bouffes-Parisiens. Au-dessous, fort au-dessous des chefs-d’œuvre de bouffonnerie et de sensibilité que sont les « poèmes » de Meilhac et Halévy, le livret de l’Étoile occupe en de banales régions une place quelconque. Il n’est pas cependant plus absurde que beaucoup d’autres. Les personnages s’y appellent de noms conformes à la tradition du genre : le roi Ouf Ier, Hérisson de Porc-Épic, Tapioca, Siroco. Et cette onomatologie assurément a quelque chose de moins rare que le Bottin ou le Gotha Scandinave, où puisèrent, après Wagner, quelques-uns de nos compositeurs wagnériens. L’action est simple aussi, faisant la part beaucoup plus grande à la folie outrancière qu’à la furtive poésie. Celle-ci, dans la musique seule, a pourtant réussi, ne fût-ce qu’une fois, à se glisser. L’Étoile a sa « romance de l’étoile, » que tant d’autres, d’un feu plus pur et plus céleste, font pâlir sans doute, mais n’éteignent pas. Rappelez-vous l’élégie de Wolfram, au troisième acte de Tannhäuser. Dans la dernière partie des Pirineos, de Felipe Pedrell, cherchez certaine prière exquise, adressée par une enfant amoureuse à l’astre qui brille là-haut, trop haut pour savoir qu’on l’aime. Avec sa sœur allemande et sa sœur d’Espagne, la petite étoile de France n’est pas indigne de former une constellation. Musique d’opérette ou d’opéra-comique, romance ou lied, cette petite chose est quelque chose de délicieux, quelque chose qui luit doucement et qui tremble, une timide et tendre cantilène, dont la flamme se cache et reparait tour à tour.

Lisez, lisez l’Étoile, au moins les deux premiers actes, et surtout le premier. Avec un peu de sentiment, il y a là bien de l’esprit : de l’esprit de finesse et de l’autre, qui n’est que bouffonnerie ou caricature, mais qu’il ne faut pas mépriser, car il a son agrément et peut avoir sa puissance. Il cherche l’effet, cet esprit, et souvent il le trouve dans le contraste de la musique avec les situations, les personnages et les paroles. Ainsi la plus élégante ritournelle, un véritable scherzo, léger, pimpant et digne des maîtres du genre, puis deux couplets interrogans, avec réponse des chœurs, un peu dans la