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le genre s’affirme sans ménagemens. Un chœur de soldats n’est pas sensiblement inégal au fameux rapport stratégique : « Or je vais vous conter, Altesse, » adressé par Fritz, après la bataille, à la grande-duchesse de Gérolstein. Les couplets de Fritelli, sur le Polonais et le Français comparés, nous offrent, avec des effets analogues de rythme, de déclamation et de prosodie, une de ces rapides études, ethniques ou nationales, dont l’Espagnol est l’objet dans les deux refrains : « On sait aimer, » et « Il grandira, » de la Périchole. Un portrait du roi supposé, fait au roi véritable par la tzigane amoureuse et qui ne le connaît pas, est charmant de finesse et d’ironie. La violence au contraire, une sorte de fureur bachique, oserai-je ajouter « offenbachique », emporte et secoue la polonaise chantée et dansée au commencement du second acte. Le Chabrier d’España se retrouve, ou plutôt se surpasse, il se débride et se déchaîne en cette page, que dis-je ! en ces pages, (elles ne sont pas moins de cinquante), qui seraient les pages maîtresses de l’œuvre, si le grand ensemble de la conspiration ne venait littéralement les écraser. Il est encore un mot, au moins familier, voire animal, dont ne craint pas d’user le jargon de la critique : c’est « la patte, » et, pour exprimer la rudesse et l’outrance, les coups et les à-coups d’une musique pareille, le terme n’a peut-être pas d’équivalent. Je doute que le répertoire de l’opérette possède un finale plus exubérant que celui-ci. La musique y réunit, portés au dernier degré, tous les élémens, tous les effets du genre. Elle n’a même pas négligé l’un des plus faciles, qui consiste à transposer en style burlesque telle scène connue, ou mieux populaire, d’une œuvre sérieuse et consacrée. Ici la parodie est même double. Il semble bien que Chabrier ait eu l’intention de rappeler et de railler d’abord, — certain roulement de timbales en ferait foi, — le serment prêté par les gentilshommes catholiques et protestans devant la reine Marguerite, à la fin du second acte des Huguenots. Et cette poupée d’Alexina, duchesse de Fritelli, mène un peu sa conjuration pour rire, comme en conduisait une autre, pour de bon, Catherine de Médicis en personne, au lieu du comte de Saint-Bris, dans la version primitive des mêmes Huguenots. À cette raillerie en quelque sorte extérieure, provenant d’une réminiscence et d’un rappel, s’ajoute le comique à proprement parler musical, celui qui naît de la musique en soi, de ses formes, de ses forces particulières et combinées pour l’action, pour la charge commune. Tour à tour, ensemble, elles donnent toutes ici. Mélodie, mouvement et rythme, harmonie, il n’y a pas un élément sonore qui ne s’exagère, ne s’exaspère ou ne se