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déforme, ne s’avilisse et, s’il le faut, ne s’encanaille. Mais lu verve, la frénésie emporte et sauve tout. Le moindre accent, un contre-temps, une syncope, prête un air exotique, une allure follement slave à cette farce, qui se joue en Pologne. Slavus saltans, comme disait Cherbuliez d’un de ses personnages, également polonais, ainsi qu’un peu fou. De telles pages portent à croire que le malentendu funeste au Roi malgré lui compromit l’œuvre entier et faussa peut-être la nature même de l’artiste. Il admirait Wagner ; ses amis ou ses camarades prétendirent, inconsidérément, qu’il s’en inspirât, et cette prétention ne nous valut que Gwendoline. Dans l’entourage de Chabrier, il semble bien qu’on le conseilla, qu’on le servit au rebours de ses facultés et de sa vocation. Le genre que nous avons tâché de définir, un peu gros, mais savoureux et non sans vigueur, était vraiment son genre ; il y est libre, il y est lui-même. Ailleurs, fût-ce plus haut,- musicien encore sans doute, il l’est un peu comme son héros était roi, gauchement et malgré lui.

Souhaitez-vous, avant de le quitter, de le voir tout à fait à son aise ? Il faut l’aller trouver aux champs, — (peut-être à la Membrolle) — à la ferme, enfin non plus à la cour, mais à la basse-cour. Chabrier n’a rien écrit de plus comique, et finement cette fois, que sa trilogie animale : la Villanelle des petits canards, la Ballade des gros dindons et la Pastorale des cochons roses. Le premier de ces poèmes zoologiques est l’œuvre de Rosemonde Gérard (Mme Edmond Rostand). Le futur auteur de Chantecler a rimé les deux autres.

Il y aurait une étude à faire, — et nous pouvons à peine ici l’ébaucher, — sur les bêtes en musique, ou dans la musique. Par où nous ne désignons pas, qu’elles veuillent bien le croire, les personnes qui ne s’y entendent point. Déjà de loin, comme du fond de l’histoire musicale, on les voit accourir, les uns à toutes jambes, les autres à tire-d’ailes, — hormis les gros, qui s’avancent avec lenteur, — nos frères plus humbles, que la musique a chantés. Non pas seulement ceux qui chantent eux-mêmes, car elle a, des autres aussi, représenté l’aspect, les mouvemens, le caractère, et l’âme obscure. Les volatiles peut-être domineraient en ce jardin d’acclimatation lyrique ; les quadrupèdes pourtant y tiendraient leur place. Dès le XVIe siècle, pour ne pas remonter plus avant, et jusqu’aux nomes pythiques de l’antiquité, l’œuvre de Clément Jannequin résonne du « Chant des oiseaux. » La chasse au lièvre, au cerf, y est également figurée[1]. La musique dès

  1. Sur les origines de la musique descriptive en général et, en particulier, de la représentation musicale des animaux, consulter l’excellent article de notre savant confrère Michel Brenet dans son récent ouvrage : Musique et musiciens de la vieille France (Paris, Félix Alcan, 1911).