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est tout simplement mi chef-d’œuvre. Je me trompe : c’est un chef-d’œuvre double, à la fois descriptif, ou réaliste, et symbolique, chef-d’œuvre d’un lyrisme, où s’élèvent à la même puissance l’élément animal et l’élément humain.

L’âme de la bête et l’âme, non plus de l’homme, mais de la femme, d’une vierge guerrière, héroïque, se mêlent en mainte inspiration wagnérienne, dont ce mélange fait le prix. Nous voulons parler des pages de la Tétralogie (Walkyrie et Crépuscule des Dieux) qu’on pourrait appeler équestres. La Chevauchée en est la plus fameuse et la plus grandiose. Mais il y en a d’autres, éparses, dont la beauté, moins extérieure, ne sait pas moins nous émouvoir. Souvenons-nous de Brünnhilde rêveuse, lasse, et sentant pour la première fois le casque peser à son front et la lance à son bras. Il ne faut ici que deux mesures, à peine, où revient attristé, ralenti, le thème ailleurs intrépide et joyeux de la course, pour évoquer, auprès de la mélancolique amazone, « l’œil morne maintenant et la tête baissée » de son fidèle serviteur. Un soir, un soir encore plus tragique, après tant de combats, après la victoire hélas ! inutile, quand le terme sera venu, pour l’un et pour l’autre, des hasards et des périls bravés ensemble, la mort même ne les séparera pas. Sur le bûcher, d’un seul bond, ils s’élanceront tous deux. Mais auparavant, jeune, mourante et semblable au héros de Virgile, elle prendra congé de son coursier, la fille de Wotan, la vierge du Walhall.


Hoc decus illi,
Hoc solamen erat ; bellis hoc victor abibat
Omnibus. Alloquitur mœrentem et talibus infit :
Rhœbe, diu — res si qua diu mortalibus ulla est
Viximus...


Les adieux de Brünnhilde seront plus beaux encore, de tout ce que la musique peut ajouter à la poésie, même à celle-là. Nous y sentirons presque le partage, ou la fusion, entre la créature humaine et l’autre, des deux natures que la fable antique avait réunies en certains êtres. Chimères, Sirènes, Centaures, doubles et mystérieux.

Chabrier musicien des bêtes, et leur musicien comique, ne s’est pas élevé si haut. Et surtout, n’étant pas symboliste pour une obole, en ses petits canards, en ses gros dindons, voire en ses cochons roses, il n’a rien mis de l’homme, et de la femme non plus. Ses animaux ne sont qu’eux-mêmes. Mais ils le sont bien drôlement. Ils le sont de corps, ils le sont d’esprit, ou de caractère, la peinture musicale imitant leur extérieur d’abord, mais ne s’y arrêtant pas. Au physique,