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J’ai insisté plus haut sur ce fait que les procédés de guerre du XVIIIe siècle excluaient toute initiative de la part des subordonnés. C’était l’obéissance passive, absolue, qui était exigée, parce que rien ne devait déranger l’ordonnance de la bataille prévue par le chef. Cette nécessité d’obéissance, on l’inculque dans les exercices du temps de paix et, pendant les cinquante années qui précèdent 1870. on y tient strictement la main en France, à tous les échelons de la hiérarchie. L’armée est ainsi soumise à une étroite centralisation, la conséquence en est que les chefs s’ingénient à faire pleuvoir sur leurs subordonnés un déluge d’ordres formels arrêtant les moindres détails. Double inconvénient : d’une part, ces ordres de détail arrivent le plus souvent à un moment où ils sont inexécutables ; de l’autre, s’ils viennent à manquer, les exécutans, qui sont des habitués d’agir par eux-mêmes, restent dans l’inaction. Cette centralisation à outrance, cette interdiction de toute initiative chez les chefs en sous-ordre fait bien comprendre comment aucun d’eux n’a su porter secours à son compagnon d’armes ou collaborer spontanément à la réalisation des desseins de son chef immédiat.

Dans l’armée allemande il en est tout autrement ; l’initiative chez tous est poussée à un tel point qu’elle conduit parfois aux plus graves imprudences ; mais en revanche, ce besoin d’agir entraîne la solidarité des voisins, et l’imprudence commise est toujours couronnée de succès par l’intervention immédiate et certaine de tous ceux qui peuvent accourir sur le champ de bataille. Je n’en citerai qu’un exemple mis en vedette par le lieutenant général de Woyde, de l’armée russe, dans son livre : De l’initiative des chefs en sous-ordre à la guerre. C’est celui de la bataille de Spicheren du 6 août ; il est caractéristique, en ce sens que c’est la première bataille livrée et que le commandement, dans les deux armées en présence, s’y montre tel qu’il a été préparé par l’éducation du temps de paix.

Les têtes de colonnes des IIe et IIIe armées allemandes sont le 5 août à 15 ou 20 kilomètres de la Sarre, notre frontière ; le 2-’corps français a pris position sur les hauteurs de Spicheren à peu de distance sur l’autre rive. Pour les Allemands, à peu près renseignés sur la situation du corps français, les ordres donnés pour la journée du 6 août sont simplement d’aborder