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la Sarre en trois colonnes. Mais les généraux prussiens ne se contentent pas d’exécuter les ordres donnés et de faire route avec leurs troupes ; au moment de prendre contact avec l’ennemi, ils comprennent autrement leur devoir. Dès le 6 au matin, on pouvait rencontrer du côté de Sarrebruck, bien en avant de leurs colonnes, les trois généraux qui les commandent. Ils sont là, avides de savoir, de connaître les positions de l’ennemi et ses forces. L’un se décide à attaquer Spicheren, qui lui parait faiblement défendu ; le second pense seulement à occuper Sarrebruck ; mais, rencontrant le premier qui lui fait part de sa résolution d’attaquer Spicheren, il se range à son avis et lui promet son concours. Quant au troisième, informé de ce qui se passe, et estimant que la position française est très forte et que l’attaque projetée peut échouer, il donne immédiatement l’ordre à sa brigade de se porter sur Sarrebruck d’où va partir l’attaque. Entre temps on a prévenu en arrière les commandans de corps d’armée et d’armée, et la bataille commence.

Ainsi, voilà trois généraux ayant chacun un rôle particulier à remplir, qui, poussés par la même pensée, s’en vont en avant de leurs troupes pour s’éclairer et se rencontrent comme s’ils avaient pris rendez-vous. L’initiative, la solidarité, le concours de tous assurent un éclatant succès.

Du côté français, c’est tout le contraire. En arrière du corps Frossard qui combat et résiste avec vaillance sur les hauteurs de Spicheren, sont trois divisions, à deux ou trois heures de marche au plus. Elles entendent le canon, elles ont même reçu un ordre vague de soutenir le 2e corps ; mais les commandans de ces divisions restent collés à leurs troupes, aucun d’eux ne se porte en avant pour se renseigner et n’envoie même des officiers pour se mettre en rapport avec le corps engagé. Celui-ci finit par succomber sous les efforts constamment renouvelés des troupes allemandes qui, jusqu’à la fin du jour, ne cessent d’affluer sur le champ de bataille. Et ces trois divisions françaises, sans avoir rien vu, rien su, ni rien fait, précèdent ou accompagnent le 2e corps dans sa retraite.

Cette soif de pénétrer la situation et ce désir d’agir en raison même de cette situation, qui tourmentaient les généraux allemands, ne se manifestent pas seulement à Spicheren ; on les retrouve partout, au cours de la campagne, sous une forme ou sous une autre et souvent ils interviennent pour suppléer à l’insuffisance