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contraire le rôle néfaste qu’on a fait jouer à la place de Metz. Cela avait été une première faute d’y installer dès le début le grand quartier général des armées. D’une façon absolue, une place forte ne doit contenir qu’un quartier général : celui de son gouverneur ; et une seule catégorie de troupes : celle qui compose sa garnison. Cela en fut une plus grande encore d’y faire converger toutes nos forces de Lorraine, en en faisant une sorte de relais dans la marche qu’elles devaient ultérieurement entreprendre vers la Meuse. Elles s’y sont attardées, et ce retard a été la cause de leur investissement et par suite de leur perte.

Les places fortes ont un attrait, peut-être naturel, mais dans tous les cas bien dangereux, pour les armées battues. Elles y cherchent un refuge et y trouvent la mort en entraînant, faute de vivres, la chute de la place, bien avant que sa limite de résistance ait été atteinte, si elle n’avait contenu que sa propre garnison. Quant à recouvrer la liberté, en rompant sur un point la ligne d’investissement, c’est une arrière-pensée et un espoir que l’on peut avoir en entrant dans la place ; mais l’histoire et le raisonnement montrent que la réussite d’une pareille opération est à peu près impossible. En admettant même que l’armée investie parvienne à briser de haute lutte le cercle qui l’enserre, où pourrait-elle aller, sans lignes de communications ni ravitaillement ? Le temps est passé où des armées de faible effectif pouvaient prendre pour base d’opérations des places fortes, plus ou moins bien approvisionnées. Dans la guerre moderne, il faut aux armées qu’elle met en jeu la libre disposition de tout le pays en arrière d’elles. C’est là où, avec un puissant réseau de chemins de fer, elles iront drainer sur toute l’étendue du territoire, les énormes ravitaillemens de toute nature qui leur sont nécessaires.

Une armée investie est donc exposée au plus grand danger ; elle court au pire désastre : la capitulation. Après une bataille perdue en rase campagne, l’armée subsiste quand même ; il n’y manque que les morts et les blessés et l’on peut recommencer ; mais après un investissement et une capitulation, il ne reste plus rien : Metz et Sedan nous ont valu cela en 1870.

Le crime, inconscient ou non, commis par Bazaine, en donnant, à la stupéfaction de tous, dans la soirée du 16 août, l’ordre de se replier sur Metz, sous prétexte de la nécessité des réapprovisionnemens en vivres et en munitions, est le premier acte