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Victor Hugo : un amoureux de la Nature. Il n’a pas, comme les deux premiers, cette tendresse passionnée pour l’Océan, qui rappelle les impulsions du marin, du corsaire. Il n’a pas eu, comme Lamartine, la fortune de naître aux champs ou du moins d’y être élevé, de devenir, de demeurer ce que l’auteur de Jocelyn sera et restera par-dessus tout, le gentilhomme campagnard, pour qui rien au monde n’égale cette volupté de parcourir sur un cheval de sang, à toute heure du jour et en toute saison, les routes qui relient entre eux les champs d’orge ou de blé, les vignobles luxurians, les futaies séculaires de son domaine. Il n’a pas même ce besoin impatient de diversion champêtre, de tonnelle ombragée et d’omelette au cerfeuil, que Jean-Jacques remit à la mode jusque chez les grands, mais qui était déjà l’un des instincts profonds de la grisette de Paris, comme en témoignent, dans tant de pages admirables de sens rustique, les Mémoires et la Correspondance de Mme Roland.

L’irrésistible envie de s’échapper vers un village de banlieue à seule fin d’entendre, à la façon d’un étudiant en bonne fortune, les « vagues violons de la mère Saguet, » — c’était, pour Hugo, à vingt ans et plus tard, le suprême plaisir, — ne semble pas l’avoir jamais beaucoup troublé. En dehors du voyage à Gand et des séjours de garnison à Rouen, à Vincennes, à Strasbourg et aux Pyrénées, il se contente, à l’ordinaire, des horizons de son quartier Saint-Honoré. Lorsqu’il s’absente, une quinzaine ou deux, c’est pour goûter dans quelque famille de son rang, chez les Malézieu, par exemple, à « Bellefontaine, près Senlis, » la riche vie de château qui lui était due, mais dont l’a frustré la Révolution. Il ne fut pas non plus, je crois, de ceux qui, en été et en automne, escaladaient les tours de Notre-Dame pour accomplir un rite admiratif et quasi religieux devant la splendeur des couchers de soleil brusquement « descendus derrière l’horizon. »

Pour tout dire en un mot, Alfred de Vigny, né, comme Descartes, en Touraine, est citadin, — citadin de Paris, — autant qu’Arouet de Voltaire. Or, pas plus que l’auteur de la satire du Mondain ne s’est reconnu incapable de goûter, lorsqu’il l’a voulu, les délices et la grandeur de ce qu’il nomme quelque part l’existence patriarcale, Alfred de Vigny ne s’est trouvé embarrassé pour ressentir, à l’occasion, en présence de