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ALFRED DE VIGNY ET LA NATURE
DAPRÈS LES FRAGMENS INÉDITS DES MÉMOIRES

Parce qu’il a écrit la Maison du Berger, Alfred de Vigny ne nous apparaît plus que comme un « contempteur » de la nature. Nous entendons toujours ses superbes blasphèmes contre cette divinité énigmatique et malfaisante dont les autels réclament sans repos et accomplissent sans merci le sacrifice successif de toute vie humaine. Mais cette âpre négation, dissimulée, plus d’une fois, sous un masque de froid dédain, est seulement le dernier terme d’un pessimisme inexorable, qui, de bonne heure, pénétra dans l’âme du poète et qui devait finir par occuper tout son entendement, par offusquer, en quelque sorte, ses regards d’un rideau de ténèbres. Avant de maudire la terre et son trésor miraculeux de moissons mûres, de prés verts, de vergers, de vignes en fleur, d’eaux courantes, d’étangs endormis, de landes, de forêts, de pics dénudés ou neigeux, de murailles de glace, Alfred de Vigny avait été assez jeune ou s’était cru assez heureux pour regarder sans aversion ces sourires et ces splendeurs : il y avait trouvé du charme encore plus que de l’effroi ; il ne s’était pas interdit de traduire en prose et en vers des impressions, parfois originales.


Vigny n’est pourtant pas ce que furent naturellement, presque sans y songer, Chateaubriand, Byron et Lamartine, ce que voudra être, de parti pris, ce qu’a été, d’ailleurs, très puissamment