Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

célèbre. Et, sans doute, le Sommeil du Condor reste un ouvrage accompli, dont la facture est impeccable et dont l’effet majestueux ne risque pas de s’affaiblir ; mais cet effet paraît moins surprenant, peut-être, à qui relit ce vers écrit en 1823 :


Dans un fluide d’or il nage puissamment.


Retrouver le Parnasse dans Alfred de Vigny, quand il parait peu discutable de donner pour ‘origine unique à cette école la tradition artistique de Victor Hugo et de Théophile Gautier, pourra sembler paradoxal ; mais l’influence de Vigny et de son art sévère, dédaigneux, impressionnant, je la découvrirais également dans le Cygne de Sully Prudhomme. Nous l’admirâmes sans réserve, adolescens que nous étions, ce tableau fin et délicat, lorsqu’il fit son apparition ; depuis les premières indications, si joliment harmonieuses, jusqu’à ce suprême détail :


Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmamens,


il entra dans notre mémoire, il n’en est plus sorti. Mais quelle surprise, plus tard, en rouvrant Alfred de Vigny et en lisant de près les Poèmes, de retrouver, dans un coin de l’étrange et maladroite composition, la Frégate « la Sérieuse, » l’original même dont la copie, habile et personnelle assurément, mais la copie, il est permis d’insister sur ce mot, nous avait charmés :


Une fois, par malheur, si vous avez pris terre.
Peut-être qu’un de vous, sur un lac solitaire.
Aura vu, comme moi, quelque cygne endormi,
Qui se laissait au vent balancer à demi.
Sa tête nonchalante, en arrière appuyée,
Se cache dans la plume au soleil essuyée ;
Son poitrail est lavé par le flot transparent.
Comme un émail où l’eau se joue en expirant ;
Le duvet qu’en passant l’air dérobe à sa plume
Autour de lui s’envole et se mêle à l’écume ;
Une aile est son coussin, l’autre est son éventail ;
Il dort, et de son pied le large gouvernail
Trouble encore, en ramant, l’eau tournoyante et douce.
Tandis que sur ses flancs se forme un lit de mousse,
De feuilles et de joncs et d’herbages errans.
Qu’apportent près de lui d’invisibles courans.


Le poète qui gravait en vers de si gracieuses images et leur prêtait, par le rapport qu’il savait établir entre elles et sa