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Vigny fait exprimer, en quelque sorte, par la Nature elle-même le prologue du drame poignant qui va nous être présenté ?

Et, dans ce drame ou récit dramatique du Cachet rouge, n’est-ce pas le rapprochement continu de l’aspect du ciel tropical avec les sentimens des personnages, et le contraste de sa sérénité implacable, avec l’horreur de leur situation, qui saisira l’esprit des spectateurs les moins habitués à raisonner leurs impressions et qui ravira tous les autres ? « Je me remis à me promener seul sur mon tillac en fumant ma pipe. Toutes les étoiles du tropique étaient à leur poste comme de petites lunes… : » le capitaine du vaisseau va ouvrir la fameuse lettre. « Je courus à la fenêtre. Le jour commençait à poindre… : » nous touchons au moment fixé pour la terrible exécution.


Et l’on aboutit, semble-t-il, à cette conclusion partielle. Dans la première partie de sa vie d’écrivain, Alfred de Vigny s’est approché de la Nature, mais il n’a pas vécu dans son intimité. Il lui a fait dans son œuvre une part, mais non pas une part royale. Bien éloigné de lui sacrifier un seul de ses desseins, il s’est habitué, pour ainsi dire, à l’asservir. Le temps n’est pas très éloigné où il voudra la répudier, où il éprouvera une délectation morose à la maudire. Il porte en lui déjà ce vers si hautain et si exclusif, écrit quelques années plus tard :


Le vrai Dieu. le Dion fort est le Dieu des idées.


II

Si le rêve d’Horace et de tant d’autres, modus agri non ita magnus, avait pu être celui de l’orageux et très peu bucolique auteur des Destinées, son cœur eût été satisfait, le jour où le petit domaine du Maine-Giraud tomba entre ses mains.

Cette propriété rurale était échue, en dernier lieu, à la sœur de Mme de Vigny mère, la chanoinesse Mme Sophie de Baraudin. Au moment de la guerre d’Espagne, passant avec son régiment à travers l’Angoumois, Alfred de Vigny fit sa première visite à cette terre héréditaire et à cette parente adorable dont il se savait, sans l’avoir jamais approchée, admiré et aimé comme eût pu l’être un fils. Les Mémoires inédits nous disent :