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La sauvagerie des aspects qu’offre la nature, au départ d’Angoulême, est, je dois le dire, amplifiée par l’imagination du poète. Ce n’est pas en observateur attentif et exact qu’il considère cette contrée montueuse. Il la colore, il l’agrandit, il la transfigure. De sa main d’écrivain royal il lui confère, en vérité, des titres de noblesse : « Les rochers arides et bleuâtres attristent le regard comme ceux de la Judée. Les bruyères et les sables y sont percés d’espace en espace par des pointes et des pics gris et noirs qui sortent de terre comme des dents énormes et portent des habitations suspendues comme des nids d’épervier. »

On pense bien que, s’il a cru pouvoir, dans sa description, forcer le caractère des paysages qu’il lui faut traverser pour atteindre au Maine-Giraud, Alfred de Vigny, au moment de nous introduire dans le manoir de ses aïeux, ne se départira pas de toute exagération, ou, pour me servir d’une expression moins irrévérencieuse, ne renoncera pas au plaisir de se remettre en état poétique. Voici, premièrement, les abords du château :

« A cent pas au delà commence vers la droite une longue avenue de chênes, d’ormes et de frênes. Ces arbres répandent de grands ombrages sur la route et sur les longues prairies qui les avoisinent, arrosées par huit fontaines vives roulant en cascades au pied des peupliers. Les frênes, vieux de cinq siècles, laissent pendre leurs branches tordues et leurs feuilles allongées jusqu’à la main des enfans ; ils se courbent comme des voûtes épaisses... Baignés dans l’eau claire des fontaines, les aubiers entr’ouverts ressemblent à des nacelles renversées et debout sur leurs avirons. Du creux de leurs noires écorces fendues on voit sortir les légers branchages des sureaux et des saules. Les ormes sont revêtus de lierres qui leur font dans les hivers une inaltérable verdure. À cette avenue viennent se réunir trois autres allées croisées dans les rocs et bordées de chênes et de haies. Leurs berceaux répandent des ombres si obscures que la source profonde, qui forme à leurs pieds une sorte d’étang et dont on voit l’eau blanche et pure sortir du sable au milieu d’un petit nuage d’écume, a reçu des habitans le nom de fontaine noire. C’est de là seulement que l’on aperçoit le Maine dont les tours apparaissaient déjà sur la gauche à travers les branches de l’avenue. Ce manoir ou Maine, nommé Maine-Giraud, est posé sur cette petite colline comme sur un piédestal formé d’un seul roc. Une pelouse de verdure épaisse