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Que serait-il sorti de cette matière romanesque si Alfred de Vigny avait eu le loisir ou la volonté ferme de la traiter ? On n’en sait rien. Il dit ailleurs, en rappelant ses ambitions de jeunesse : « J’avais le désir de faire une suite de romans historiques qui seraient comme l’épopée de la noblesse et dont Cinq-Mars était le commencement. J’en écrirai un dont l’époque est celle de Louis XIV, un autre qui sera celle de la Révolution et de l’Empire, c’est-à-dire la fin de cette race morte socialement depuis 1789. » A l’exception de Cinq-Mars, tout cela est resté, personne ne l’ignore, à l’état d’indication.

C’est très probablement, en reprenant l’idée de cet ouvrage, la suite de Cinq-Mars, que Vigny écrivait, en 1840, cette réflexion : « Louis XIV. — Le roi et la noblesse étaient deux anciens amans qu’on avait brouillés. Ils se rapprochaient quelquefois, mais ne pouvaient plus se reprendre et devaient rester séparés par l’intrigante bourgeoisie. » Et il n’est pas trop téméraire de rattacher au même sujet ce passage sur la Patrie : « Elle n’existait presque pas avant Louis XIII, — écrit Vigny. — Les grands seigneurs, alliés à des femmes étrangères, et possesseurs de grands fiefs en Espagne, en Allemagne, en Angleterre à la fois comme en France, n’avaient pas le cœur plus espagnol que français, et trahissaient volontiers les intérêts d’un pays pour un autre. La puissance croissante de la classe moyenne et l’unité donnée à la nation par la monarchie ont rendu aux nations le sentiment de citoyen. La noblesse de province l’avait conservé, ce sentiment exquis ; le gentilhomme (gentis homo), l’homme de la nation, était le citoyen véritable. »

Mais les Mémoires inédits contiennent une description développée de la région de l’Angoumois qui conduit au Maine-Giraud et du Maine-Giraud lui-même. En se modifiant à peine, cette description aurait, je crois, trouvé sa place dans le roman qui devait se greffer sur le règne de Louis le Grand.

C’est d’abord l’imposant effet de cette chaîne de hauteurs âpres et nues qui part « du pied de la montagne d’Angoulême » et qui, lorsque le voyageur « suit la route du vieux château de Blanzac, » le fait descendre peu à peu « de vallée en vallée et comme d’étages en étages » jusqu’au joli village nommé Champagne, » reconnaissable à son « église d’architecture gothique toute brodée de sculptures moresques[1]. »

  1. Je laisse à Vigny la responsabilité de cette qualification étrange.